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[The Conversation] Immobilier : comment les mobilités post-Covid rebattent les cartes

Publié le 23 janvier 2023

Un article écrit par Sylvain Chaveyron, maître de conférences en Sciences économiques, Camille Régnier, maître de conférences, et Florent Sari, professeur des Universités, Université Paris-Est Créteil Val de Marne (UPEC).

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Date(s)

le 17 janvier 2023

La pandémie de Covid-19 a eu de nombreuses répercussions sur la société tant du point de vue sanitaire que sociale et économique. En particulier, elle a modifié les façons d’habiter et de travailler, avec la mise en place de confinements successifs et le recours massif au télétravail. Ces changements ont pu conduire les ménages à reconsidérer leur choix de localisation résidentielle et/ou les caractéristiques des logements recherchés, et ainsi avoir des conséquences sur les dynamiques urbaines et territoriales.

Ces évolutions concernent non seulement ceux qui choisissent effectivement de changer de lieu de vie mais également ceux dont le voisinage connaîtra des transformations.

Si des éléments provenant de sondages ou d’agents immobiliers ont assez rapidement commencé à mettre en lumière des modifications dans les caractéristiques des logements recherchés et le dynamisme immobilier accru des territoires ruraux ou peu denses, il commence à être possible, près de trois après le début de la pandémie, d’avoir une vue d’ensemble des transformations opérées.
 

Des intentions de mobilités en hausse de 20 %

La volonté de vivre en milieu peu urbanisé existait déjà avant la pandémie. Ainsi le baromètre de l’association indépendante Qualitel de 2019 mettait en évidence qu’une majorité de la population souhaiterait habiter en commune rurale ou en ville moyenne plutôt que dans une grande ville. Ce sentiment est partagé par les résidents de communes rurales et moyennes (91 % et 90 %) mais aussi, bien que dans une moindre mesure, par les résidents de métropoles (78 %) et de l’agglomération parisienne (59 %). La qualité du logement apparaît comme une des raisons principales de cette valorisation des espaces peu ou moyennement denses.

La pandémie de Covid-19 et les restrictions d’activités qui l’ont accompagné ont accru la demande de logements plus spacieux et plus ouverts sur l’extérieur, particulièrement pour les personnes vivant en appartement. Ces caractéristiques étant plus souvent celles de logements situés hors des métropoles, cela a conduit à un accroissement des intentions de relocalisation dans les zones moins urbanisées et d’achat de maison.

Une étude récente, basée sur les données de navigation sur Le Bon Coin, propose une représentation des projections de mobilité résidentielles et met en avant une hausse des intentions de mobilités de 20 % depuis les grandes villes vers les communes de petites et grandes couronnes.

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Dans la même veine, en reconstituant des flux d’intentions de mobilité sur la base d’estimations immobilières de propriétaires et d’acheteurs sur la plate-forme MeilleursAgents, les chercheuses Marie-Laure Breuillé, Julie Le Gallo et Alexandra Verlhiac montrent que les intentions de relocalisation dans le rural et d’achat d’une maison ont augmenté de respectivement 5 points et 7,4 points pendant le premier confinement par rapport à la période pré-Covid. Elles démontrent une tendance claire vers un possible exode urbain suite à la pandémie.

Concrètement, la probabilité pour un résident urbain de rechercher une résidence dans une ville urbaine plutôt que rurale est plus faible depuis le début de la pandémie, et en particulier depuis la fin du deuxième confinement.

Le télétravail lève une barrière au déménagement

Le souhait de vivre dans une maison ou en milieu rural ne se retranscrit cependant pas nécessairement dans un changement de résidence effectif. Un certain nombre de contraintes peuvent freiner ou empêcher un déménagement dans une zone peu dense. L’une des principales étant le manque d’emplois.

La théorie économique permet en effet d’expliquer que les localisations proches des emplois sont les plus valorisées. Ainsi, les prix immobiliers deviennent les plus élevés dans le centre des agglomérations, et dans les agglomérations ayant des salaires plus élevés. De ce point de vue, la pandémie de Covid-19, en accroissant le recours au télétravail, a néanmoins pu en partie lever la barrière de l’accessibilité à l’emploi, et donc faire baisser le poids de ce critère dans les choix de localisations résidentielles.

Cet accroissement du télétravail, qui fut massif lors des confinements, semble par ailleurs durable. Plus d’un an après le début de la pandémie, la part des télétravailleurs réguliers de la région parisienne était de 42 %, soit un doublement par rapport à 2019, selon une étude de l’Institut Paris Région. En revanche, contrairement aux périodes de confinement, une semaine complète de télétravail reste rarement autorisée : la formule majoritaire, adoptée par 6 employeurs sur 10, est de 2 à 3 jours de télétravail par semaine.

Une recomposition à l’intérieur des agglomérations

Si la hausse durable du télétravail semble pouvoir permettre à certains ménages de réaliser leurs aspirations à plus d’espace, il reste à vérifier que cela s’est traduit en mouvements de populations. Les données permettant de suivre ces évolutions, comme le recensement de l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee), n’étant pas encore disponibles pour la période post-Covid, une alternative consiste à observer les évolutions du marché immobilier. Une hausse des prix immobiliers dans certains lieux traduirait en effet une hausse de la demande et in fine une hausse des relocalisations dans ces mêmes lieux.

Sur ce plan, notre récente étude montre, en se basant sur les données DVF (Demande de valeurs foncières) qui recensent de façon exhaustive les transactions immobilières et les prix associés, qu’un changement de dynamique est perceptible entre les aires urbaines françaises : les agglomérations moins productives, au revenu moyen plus faible, bénéficient d’un regain d’attractivité par rapport aux métropoles les plus productives.

Les effets de la crise sont encore plus importants lorsque l’analyse est menée au sein des agglomérations : les prix immobiliers ont le plus augmenté dans les communes moins denses, et plus distantes du centre d’emploi principal de l’agglomération dans laquelle elles se trouvent. Une recomposition importante s’opère donc à l’intérieur des grandes agglomérations : les ménages valorisent plus les logements dans les communes peu denses et plus distantes du centre d’emploi relativement à avant la pandémie, traduisant ainsi une périurbanisation accrue.

Ce constat est assez similaire à celui fait dans d’autres pays comme les États-Unis. En effet, une étude menée en 2021 démontrait d’abord que la pérennisation d’un télétravail à temps partiel a permis à certains ménages de s’éloigner de leur emploi pour bénéficier d’un logement plus spacieux. Ensuite, ils révèlent que ce changement s’est principalement réalisé à l’intérieur des agglomérations, dans la mesure où il reste généralement nécessaire de se rendre sur son lieu de travail quelques jours dans la semaine.

Ainsi, la crise sanitaire provoquée par le Covid-19 a bel et bien eu des répercussions sur les choix résidentiels des individus, se traduisant à la fois dans leurs intentions de relocalisations et sur les dynamiques des prix immobiliers. Néanmoins, la récente crise énergétique (avec en corollaire la hausse des prix de l’énergie) pourrait venir freiner cet éloignement des centres d’emploi en augmentant les coûts de déplacement entre le domicile et le lieu de travail.The Conversation

Sylvain Chareyron, Maître de conférences en Sciences économiques, Université Paris-Est Créteil Val de Marne (UPEC); Camille Régnier, Maître de Conférences, Université Paris-Est Créteil Val de Marne (UPEC) et Florent Sari, Professeur des Universités, Université Paris-Est Créteil Val de Marne (UPEC)

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.