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Le Grand Paris au défi des contradictions métropolitaines

Publié le 12 mars 2020

Article de Daniel Behar, Géographe et Professeur des Universités à la Faculté des Lettres, Langues et Sciences humaines de l'UPEC, publié sur The Conversation France.

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le 12 mars 2020

Chacun a pu le constater, le Grand Paris est largement absent du débat des élections municipales. On peut comprendre que les candidats évitent soigneusement une question institutionnelle réservée de fait aux initiés : faut-il renforcer une Métropole du Grand Paris émergente ou plutôt miser sur l’affirmation de la Région ?

Mais en banalisant par contrecoup le débat électoral, en le circonscrivant à des enjeux locaux – pour les uns autour des questions de sécurité ou de propreté, pour les autres autour du verdissement programmatique sur un mode identique à des milliers d’autres situations municipales, on occulte la spécificité métropolitaine.

Les postures radicales, aux deux extrêmes, ont alors le champ libre pour tenter d’organiser le débat autour de l’alternative « pour ou contre les métropoles », en prônant la dé-métropolisation.

Le fait métropolitain, une promesse toujours aussi attractive

De telles approches, avant tout idéologiques, sont bien évidemment dans l’incapacité de répondre à la réalité telle qu’elle est. Elles font l’impasse sur un phénomène incontournable, et loin de s’estomper : le fait métropolitain constitue une promesse, toujours aussi attractive.

La promesse métropolitaine du Grand Paris, c’est « ce qui fait qu’on y vient ». Que l’on soit étudiant, actif, entrepreneur ou migrant venant de l’étranger, la métropole, c’est avant tout une ouverture des possibles.

Sur le plan économique, en paraphrasant Boris Johnson alors maire de Londres (2008) à propos du Grand Londres, s’installer dans le Grand Paris c’est la garantie de gagner dix ans dans sa carrière professionnelle.

Au-delà, la métropole est également l’ouverture des possibles urbains, sociaux et culturels. Le fait métropolitain est un facteur démultiplicateur de créativité, de sérendipité, de rencontres, de rapport à l’altérité… Pour citer l’actuel maire de Londres, Sadiq Khan :

« la promesse de Londres a toujours été : quelles que soient tes origines, si tu travailles dur, tu trouveras une main pour t’aider et tu pourras tout réussir. »

Cette ouverture des possibles tient principalement à l’intensité des échanges, à la diversité humaine, sociale et territoriale qu’offre la métropole. Tel est l’avantage métropolitain : la capacité, non pas tant à concentrer les excellences, qu’à offrir les occasions de synergies et d’hybridation entre des compétences, des savoirs, des cultures hétérogènes.

L’envers du décor

Mais, nous l’avons tous éprouvé, la promesse métropolitaine a un envers. Elle rend incertaine notre condition métropolitaine. L’intensité des échanges a pour corollaire une mise sous pression des places que nous occupons.

Certes, la massivité métropolitaine a d’abord pour conséquence une médiocrité relative de la qualité de vie dans le Grand Paris (coût du logement, difficultés de déplacements…). Mais, c’est aussi, ce qui fait qu’on en part.

Ce phénomène n’est pas nouveau et mérite toujours davantage de le combattre. Ce qui l’est davantage, c’est la fragilité et la « lutte des places » qu’induit la métropolisation.

Tant sur le plan économique qu’au niveau social, culturel, et urbain, plus qu’ailleurs, la vie en métropole est une vie « exposée » aux concurrences, aux exigences de performance et de [mobilité]. Plus qu’ailleurs les statuts et les places y sont fragiles.

Un arbitrage permanent entre « avoir » et « être »

Vivre dans le Grand Paris est un arbitrage de chaque jour. De plus en plus, pour chacun d’entre nous, « appartenir » à la communauté métropolitaine relève d’un arbitrage permanent entre « avoir » (avoir un emploi, un logement, avoir une place et un rôle dans la métropole, avoir accès à ses ressources et opportunités, etc.) – c’est-à-dire tirer parti au mieux des ressources métropolitaines » – et « être » (être satisfait de son environnement proche, être à l’aise parmi les autres, être en sécurité, etc.) c’est-à-dire se fabriquer des conditions de vie satisfaisantes.

Face à ce dilemme permanent, chacun « bricole » sa réponse, tire partie à sa façon de la promesse métropolitaine pour assurer sa condition métropolitaine de la manière la plus satisfaisante possible.

Certes, cette promesse métropolitaine n’est pas la même pour tous, et selon la situation sociale, les contraintes et marges de manœuvre pour s’en saisir sont plus ou moins importantes. Mais à situations sociales équivalentes, certains vont par exemple privilégier la maximisation de leur accès aux aménités métropolitaines tandis que d’autres choisiront une forme de mise en retrait.

L’inventaire de ces figures de la vie dans le Grand Paris est infini et les registres d’arbitrage sont démultipliés : en termes de rythmes de vie, de localisation, de combinaison habitat/activités…

Quoi de commun, entre ceux qui seront Grands Parisiens, sauf le week-end, ceux qui le seront mais 10 ans pas plus, ou entre ceux qui y travailleront le jour mais résideront en grande couronne voire au-delà et les migrants métropolitains qui étaient hier à Damas et seront demain à Montréal ou Londres ? Rien si ce n’est qu’ils ont chacun à leur façon arbitré entre la promesse et la condition métropolitaines.

Un défi radical pour l’action collective

Cette tension constitutive du fait métropolitain, entre la promesse qu’il constitue et la condition qu’il induit n’est pas que l’affaire des habitants du Grand Paris, c’est aussi un défi radical pour l’action collective et les politiques publiques.

Il ne s’agit plus seulement de prétendre améliorer les conditions de vie dans le Grand Paris, au travers de politiques volontaristes de logement ou de transports. Il faut prendre acte que la question métropolitaine est synonyme de contradictions permanentes.

Ainsi, plus on va œuvrer pour le développement et la compétitivité du Grand Paris, plus on va renforcer son attractivité – par exemple en termes de migrations internationales – et plus on va probablement aggraver les inégalités sociales en son sein. Les élus de Seine-Saint-Denis vivent cette contradiction tous les jours.

Et que dire de l’équation impossible entre l’exigence de production massive de logements, celle de réduction de l’étalement urbain et le rejet massif de la densification telle qu’elle s’est accélérée ces dernières années ? Ainsi la construction de logements neufs a pratiquement doublé en 10 ans pour dépasser 70000 logements en 2018, et ce de façon équilibrée entre première et seconde couronnes. Et ce constat qui pourrait être considéré comme une réussite d’un point de vue social fait problème d’un point de vue environnemental.

Un « morceau » du système métropolitain

En ces temps de promesses électorales et d’affichage de projets, les élus locaux sont tous confrontés à la même contradiction : il faut faire comme si leur commune du Grand Paris allait fonctionner comme une ville moyenne, et pourrait disposer de toutes les aménités et services à cette échelle locale, tout en sachant qu’elle n’est qu’un « morceau » du système métropolitain et ne pourra jamais constituer « une ville complète ».

Lorsqu’elle est abordée dans le débat public, la question du Grand Paris apparaît pour les uns (les Parisiens), comme une question « à côté », celle des relations à la banlieue (voire son absorption) et pour les autres une question « au-dessus », celle de l’organisation institutionnelle supra communale.

La question politique – au sens de celle que vivent les Grands Parisiens – n’est ni à côté ni au-dessus ; elle se pose au niveau de chaque individu et de chaque commune ou quartier : comment concilier la promesse et la condition métropolitaines ? C’est en affrontant cette contradiction inhérente au fait métropolitain que l’on pourra contrer la montée en puissance des injonctions démagogiques à la « dé-métropolisation ».


L’auteur a récemment publié avec Aurélien Delpirou, l’« Atlas du Grand Paris », 2020 (éd. Autrement).The Conversation

Daniel Behar, Géographe Professeur des Universités, Université Paris-Est Créteil Val de Marne (UPEC)

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.