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S’arracher les cheveux : parfois ce n’est pas qu’une expression

Publié le 12 octobre 2016

Article d'Antoine Pelissolo, Professeur de psychiatrie à l'UPEC, publié sur The Conversation France

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le 12 octobre 2016

Face aux problèmes de la vie courante, nombreuses sont les personnes à s’arracher les cheveux, au sens figuré. On sait moins que certaines le font vraiment. Au sens propre. Répertorié sous le nom de trichotillomanie, ce geste peut être rangé dans la catégorie plus vaste des actes auto-agressifs, où l’individu porte atteinte à lui-même. Se gratter la peau à répétition, se laver les mains compulsivement au point de s’abîmer la peau, se scarifier : il existe des degrés de gravité divers dans ces comportements. Certains peuvent paraître – à tort – anodins. Tous méritent de s’en préoccuper.

Pourquoi diable s’arracher les cheveux ? Par masochisme ? Cette explication triviale, sans être complètement absurde, est un peu courte. Les « manies corporelles » et les automutilations sont des conduites pathologiques relevantes de mécanismes variés, mêlant neurobiologie et psychopathologie. Un décryptage de ces comportements troublants peut être utile pour mieux les comprendre et tenter de les modifier.

Tics ou TOC

Beaucoup de conduites répétitives et excessives, centrées sur le corps, pourraient s’apparenter à des tics ou éventuellement à des troubles obsessionnels-compulsifs (TOCs). En simplifiant, les tics sont des gestes répétitifs, réalisés consciemment mais de manière presque automatique, et sans objectif précis autre que de soulager le besoin de le faire ; une sensation de tension précède en effet l’exécution du tic.

Dans les TOCs, les actes sont réalisés de manière excessive et inadaptée, mais avec une intention assez bien définie : nettoyer, vérifier, ranger, compter, etc. On parle de compulsion car ces actions sont volontaires, bien que la personne les considère comme absurdes et inutiles, utilisant volontiers l’expression « c’est plus fort que moi ». Elle connaît ainsi un déchirement interne, avec une partie de sa volonté qui lutte contre une autre partie de celle-ci pour faire ou ne pas faire ces gestes.

Monsieur Propre

Dans le cadre d’un TOC, les compulsions ou les rituels parfois néfastes pour le corps sont initialement des actes de protection, qui deviennent dangereux à force d’être répétés exagérément. L’exemple le plus courant est celui des rituels de nettoyage et de toilette, comme le lavage des mains. À cause d’une impression intolérable de souillure, les malades se sentent obligés de se laver les mains un très grand nombre de fois dans la journée, et sur des durées très longues, parfois jusqu’à 2 ou 3 heures au total.

L’exposition prolongée à l’eau et au savon et la propension à frotter fort sont rapidement dommageables et abrasives pour la peau. Surtout en cas d’utilisation de produits particulièrement détergents comme des antiseptiques ou de l’eau de javel – ce qu’on voit parfois. Les mains et les avant-bras sont alors à vif en permanence, et peuvent présenter des gerçures ou des crevasses en période hivernale. Ces lésions peuvent être aggravées par d’autres compulsions de ménage très répétitives, avec manipulations de produits nettoyants et frottages énergiques prolongés.

De la même manière, certains tics peuvent être dangereux pour leur auteur. C’est le cas surtout des personnes souffrant du syndrome de Gilles de la Tourette, qui se manifeste par des tics complexes, c’est-à-dire plus élaborés et longs que les tics banals. En plus de proférer des bruits de gorge ou des insultes, la fameuse « coprolalie », certains tics sont constitués de véritables séquences de mouvements dirigés vers un but.

Une composante auto-agressive peut être présente, comme le fait de taper sur une surface dure, se frapper soi-même au visage, se mordre ou encore s’enfoncer les doigts dans les yeux. Ces gestes, dangereux quand ils se répètent violemment, sont réalisés sans aucun objectif ni mentalisation, ce qui les différencie des compulsions liées aux TOCs, effectuées avec un but précis.

S’auto-crêper le chignon

D’autres symptômes, à la frontière entre TOC et tics, portent directement sur la peau et les phanères : cheveux, poils, sourcils. Le syndrome le mieux décrit est la trichotillomanie, qui consiste à s’arracher les cheveux de manière répétitive, sans but réel, avec parfois quelques manipulations (jouer avec les cheveux avant ou après, cheveu par cheveu ou par mèches entières, les porter à la bouche, etc.). Les arrachages ont lieu en général par crises de quelques minutes à quelques heures, surtout dans les moments d’ennui ou de stress.

Ces gestes sont parfois accompagnés d’une sensation de plaisir, et le besoin d’arracher est vécu comme irrépressible, ce qui ressemble assez fortement à des tics. La trichotillomanie touche en majorité des femmes, plutôt jeunes en général, et peut s’intégrer à une pathologie psychique comme une dépression, un trouble de la personnalité voire à une schizophrénie. Mais elle peut être aussi isolée, sans autre symptôme. Les conséquences physiques sont souvent très importantes, certaines patientes perdant des plaques entières ou la quasi-totalité de leurs cheveux. Elles cherchent le plus souvent à dissimuler cette alopécie particulière, vécue dans la honte et la culpabilité, sous des perruques ou des couvre-chefs.

L’arrachage peut également concerner d’autres phanères comme les poils du corps, notamment du pubis, les cils ou les sourcils. Là aussi, ces gestes sont réalisés de manière presque automatique, consciente mais sans raison particulière. L’anxiété ressentie est plus ou moins forte. Dans certains cas, se rapprochant plus des TOCs que des tics, les personnes décrivent le besoin de rendre leur apparence « propre » en faisant disparaître toute trace de poil, cette obsession s’accompagnant aussi de vérifications permanentes.

Se triturer la peau

La dermatillomanie est un diagnostic nouvellement intégré à la classification d’origine américaine des troubles psychiques, le DSM-5, au carrefour des troubles impulsifs et compulsifs. Il s’agit là aussi d’un besoin irrépressible de gratter ou de « triturer » la peau et plus particulièrement toute imperfection à sa surface, comme des boutons, des croûtes ou des irrégularités. Ces actes sont précédés d’une vérification minutieuse et quasi-obsessionnelle de la peau, directement ou à l’aide d’un miroir quand il s’agit du visage, et d’une tension nerveuse qui n’est soulagée que par le triturage ou l’excoriation.

Ces troubles se rapprochent des dysmorphophobies, autres obsessions corporelles basées sur la conviction erronée d’avoir une anomalie physique inesthétique. Ces comportements peuvent paraître banals. En fait, on parle de réelle pathologie quand ils sont à l’origine d’une souffrance forte pour la personne ou de conséquences délétères certaines : niveau d’angoisse élevé, sentiment de honte, beaucoup de temps perdu, lésions cutanées persistantes et à risque de mauvaise cicatrisation ou de surinfections.

L’onychophagie, tendance compulsive à se ronger les ongles, s’apparente à la trichotillomanie ou à la dermatillomanie, en moins problématique généralement, et peut leur être associée. On regroupe aussi sous l’appellation « comportements répétitifs centrés sur le corps » (CRCC) les habitudes obsessionnelles de morsure des lèvres ou de l’intérieur des joues, l’arrachage et la morsure de la peau des ongles (onychotillomanie), et aussi l’étonnant syndrome du « refoulement maniaque de la cuticule ». Il s’agit d’une des causes comportementales des lésions de l’ongle du pouce, liées à la pression régulière de l’index ou du majeur pour repousser la petite peau (cuticule) présente à la base de l’ongle.

Des gestes instinctifs

Les comportements pathologiques ont toujours des causes multiples. Mais beaucoup des actes de lavage ou de manipulation compulsive de son propre corps relèvent d’un dysfonctionnement neurobiologique, qui exacerbe les gestes normaux d’auto-nettoyage. En effet, le grooming (toilettage, épouillage) s’observe dans toutes les espèces animales et vise à maintenir une bonne hygiène corporelle. Il s’agit d’un instinct essentiel à la survie, contrôlé par des structures très archaïques de notre cerveau, les ganglions de la base.

Des dysfonctionnements de ce système conduisent à des actes non régulés et donc répétitifs, que l’on peut observer dans des espèces animales aussi différentes que les singes, les souris ou les oiseaux (léchage ou frottage compulsif, arrachage des poils ou des plumes). Il peut s’agir de comportements spontanés, mais on peut aussi les déclencher en laboratoire avec des substances ou des micro-courants électriques appliqués dans les ganglions de la base pour en dérégler le fonctionnement.

Chez les êtres humains, les TOC et les tics sont associés à des dysfonctionnements de ces mêmes structures, que l’on peut corriger souvent avec des médicaments. Dans certains cas sévères de TOC résistants ou de maladie de Gilles de la Tourette, on réalise désormais des stimulations électriques des ganglions de la base du cerveau, à l’aide d’électrodes intracérébrales reliées à un générateur implanté sous la peau.

L’existence d’un dysfonctionnement biologique n’exclut pas, bien sûr, celle de facteurs psychologiques, venant révéler ou aggraver une vulnérabilité innée. Tout facteur de stress intense, toute fragilité de la personnalité, peuvent jouer le rôle de déclencheur, surtout chez des personnes particulièrement sensibles à l’état de leur corps ou à leur apparence physique. La peau est en effet à la fois l’enveloppe qui définit une grande partie de son identité et de son intimité (le moi-peau), et un élément de visibilité et de contact avec autrui. Elle est tout particulièrement sensible au stress, comme en témoignent les eczémas, les allergies diverses ou les rougissements du visage. On peut ainsi comprendre que cet organe puisse être au centre de préoccupations et de comportements pathologiques, comme en témoigne l’expression populaire « ne pas être bien dans sa peau »…

Jusqu’à l’auto-mutilation

Se scarifier avec une lame de rasoir ou un cutter, se brûler avec une cigarette, ou encore « s’ouvrir les veines » sont autant de blessures auto-infligées, de gravité croissante, relativement fréquentes chez les personnes en souffrance. Il peut s’agir d’actes à visée partiellement ou complètement suicidaires, dans le contexte d’une dépression, mais le plus souvent le désir de mort n’est pas au premier plan. La dimension sociale de l’acte n’est pas à négliger, car ces lésions sont suffisamment spectaculaires pour que l’entourage affectif se sente fortement interpellé, ce qui peut être une des motivations, conscientes ou non, de leur auteur.

Mais les automutilations, particulièrement quand elles sont répétées, résultent surtout de mécanismes psychiques en rapport avec des angoisses profondes et insupportables. La recherche d’une douleur physique intense, de la vue du sang, ou de toute autre sensation corporelle forte répond alors au besoin d’atténuer une douleur morale débordante, vécue comme plus intolérable encore que la douleur physique. Des travaux de recherche ont d’ailleurs montré que, dans certains troubles psychiques, la sensibilité à la douleur physique était atténuée, possiblement en rapport avec des anomalies des molécules cérébrales véhiculant ou régulant les sensations douloureuses (neurotransmetteurs, opiacés endogènes).

La maltraitance du corps peut aussi faire suite à des angoisses associées à un sentiment de vide intérieur profond, notamment dans les troubles de la personnalité « état-limite » (ou borderline), très souvent marqués par des automutilations répétées, en plus des gestes suicidaires.

L’aide des thérapies comportementales

Les traitements dépendent bien sûr des diagnostics, et une évaluation par un médecin ou un psychologue est indispensable. Le plus souvent, une aide psychologique, voire une véritable psychothérapie, est la réponse la plus adaptée pour tenter de comprendre et de traiter les troubles psychiques en cause. Pour les TOC ou les tics, une thérapie comportementale et cognitive peut être très efficace pour apprendre à identifier les déclencheurs des comportements pathologiques et à les contrôler.

Une aide médicamenteuse, avec des antidépresseurs ou des antipsychotiques, est souvent utile en complément, quand les symptômes sont sévères. Les solutions sont du même ordre pour les autres CRCC comme la trichotillomanie ou la dermatillomanie, avec recours à des techniques plus spécifiques et à des médicaments différents réduisant l’impulsivité.

The ConversationLes automutilations à visée suicidaire ou inscrites dans le cadre d’un trouble de la personnalité relèvent d’une prise en charge psychiatrique et psychothérapeutique complète. Celle-ci peut donner de bons résultats à condition de pouvoir établir une relation de confiance sur la durée. Les médicaments utilisés sont là aussi des antidépresseurs, des antipsychotiques ou des anti-impulsifs, en complément d’une psychothérapie adaptée. Ainsi, les comportements auto-agressifs les plus sévères justifient un accompagnement suivi dans le temps. Mais les plus légers ne doivent pas non plus être négligés, s’ils deviennent sources de souffrance ou de handicap.

Antoine Pelissolo, Professeur de psychiatrie, Université Paris-Est Créteil Val de Marne (UPEC)

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.