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Éducation nationale : que change la circulaire sur l’accueil des élèves trans ?

Publié le 11 octobre 2021

Un article de Gabrielle Richard, sociologue du genre à l'UPEC.

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Date(s)

le 5 octobre 2021

Lancée sans tambour ni trompette mais attendue avec impatience depuis plusieurs mois, la circulaire publiée dans le Bulletin officiel du 30 septembre présente aux personnels de l’Éducation nationale un certain nombre de lignes directrices pour penser leurs rôles et responsabilités dans l’accompagnement des élèves trans ou en exploration de leur identité de genre.

Elle vise à offrir des pistes formelles de réponse aux questions qui préoccupent plus d’un établissement : « Les questions d’identité de genre concernent-elles bien l’école ? », « Comment réconcilier les réalités d’un·e élève en transition avec les lieux souvent genrés de l’institution scolaire ? » et « De quelle marge de manœuvre bénéficie l’école pour accompagner les élèves dont les parents ou les responsables légaux n’appuient pas la transition ? ».

Les questions trans, de surcroît lorsqu’elles concernent des jeunes souvent mineur·e·s, qu’on présume influençables, constituent un sujet globalement méconnu, qui donne lieu à son lot de désinformation. Et si la publication de cette circulaire était le parfait prétexte pour (re)mettre les pendules à l’heure ? Qui sont les jeunes trans dont on parle dans ce document officiel ? La circulaire Blanquer sur l’accueil des élèves trans constitue-t-elle une véritable avancée ? Quels sont ses angles morts ?

Qui sont ces élèves trans que l’école ne saurait voir ?

Identifier le nombre d’enfants et de jeunes trans, non-binaires, en questionnement ou en exploration de leur identité de genre est une question éminemment complexe, qui dépend notamment de la vision qu’on a du genre, du droit à l’autodétermination des personnes et des pouvoirs des autorités médicales et psychologiques. Selon les données les plus récentes, de 1,2 % à 2,7 % de la population adolescente s’identifie autrement que comme cisgenres (une personne cisgenre est une personne dont l’identé de genre correspond au sexe assigné à la naissance).

Que veut dire « cisgenre » ? (France.tv Slash, 2018).

Une autre question qui interpelle plusieurs adultes concerne le nombre accru de jeunes qui s’identifieraient de nos jours comme trans ou non-binaires. On semble se représenter un phénomène en expansion croissante, ce qui amène des personnes mal informées à parler d’une « épidémie ». Bien sûr – est-il nécessaire de le dire ? – il n’y a ni épidémie ni mode. Les jeunes ne se réveillent pas un matin en décidant qu’il serait peut-être bien d’être trans.

Des travaux néo-zélandais portant sur des échantillons représentatifs aléatoires de jeunes du secondaire (cisgenres et transgenres) confirment que près de la moitié des jeunes trans rapportent s’être senti·e·s « différent.es » sur le plan du genre (à défaut d’être en mesure de mettre des mots sur cette réalité) bien avant l’adolescence : 27,3 % avant l’âge de 8 ans, 17,9 % entre 8 et 11 ans et 54,8 % à 12 ans ou plus.

Et s’il faut parler du nombre croissant de jeunes trans et non-binaires, c’est davantage du côté de la disponibilité de représentations diversifiées – du moins, de certains types de « figures trans » –, des mises en relation que permettent les réseaux sociaux et des possibilités accrues d’avoir les mots pour se nommer et se rendre visibles comme tel·le·s qu’il convient d’investiguer. Et rappelons qu’on ne sait au final rien des identités de genre qu’auraient mobilisées les jeunes des années 60, 70 ou 80… parce qu’on ne leur a simplement jamais posé la question !

Alors que l’Éducation nationale avait jusqu’ici choisi d’aborder les questions d’identité de genre sous l’angle presque exclusif du harcèlement dont sont victimes les jeunes trans, la circulaire franchit un pas en établissant d’entrée de jeu que « la transidentité est un fait qui concerne l’institution scolaire » et qu’il appartient à l’école de « faciliter leur accompagnement et (de) les protéger ». C’est le premier point à retenir de ce texte. Cela peut sembler bien peu pour qui a pris la pleine mesure des besoins des jeunes trans et en exploration de leur identité de genre, mais c’est déjà beaucoup si l’on considère les défis qu’a toujours posés à l’institution scolaire le fait de trancher entre ce qui appartient à la sphère privée ou publique, comme en matière d’éducation à la sexualité.

Il n’y a ni bon ni mauvais parcours de transition

La circulaire énonce par exemple en toutes lettres que « les parcours (des jeunes trans) ne sont pas toujours linéaires et peuvent suivre des temporalités très différentes, alternant des périodes de questionnements, d’actions et de pauses. Chaque personne est libre de poursuivre, d’arrêter ou de reprendre son parcours de transition ». Ce faisant, elle assume une volonté de souscrire à une approche transaffirmative de l’intervention auprès des jeunes trans.

L’approche transaffirmative reconnait la pluralité des vécus trans, positionne les personnes trans comme les seules expertes de leur vécu et cherche à les accompagner dans l’affirmation de leur genre. L’approche transaffirmative est d’ailleurs reconnue et encouragée par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et par la plupart des instances de psychologie, de médecine et de pédiatrie.

Là où le bât blesse, toutefois, c’est lorsque cette approche se confronte à l’autorité parentale. L’un des principaux enjeux soulevés par l’accueil scolaire des élèves trans concerne l’appui qu’il est possible d’apporter à un·e élève qui demande qu’on utilise ses prénom et pronom à l’école, mais qui n’a pas pu sécuriser au préalable l’appui de ses parents ou représentant·e·s légaux. Il faut dire que, si le soutien familial revêt une importance capitale pour le bien-être des jeunes trans, il peut être difficile à obtenir. Dans les meilleurs cas, il implique un processus d’adaptation, voire de deuil, plus ou moins long. Dans les pires, l’élève peut vivre un rejet ou des violences intrafamiliales.

Quelle place pour les enfants transgenres ? (France 24, décembre 2020).

Les lignes directrices concernant les élèves trans produites par d’autres instances scolaires comprennent la nécessité d’offrir aux jeunes un milieu scolaire sécuritaire, soutenant et permettant l’exploration de l’identité de genre, de surcroît si les jeunes n’ont pas ce soutien à la maison. En Écosse, dans l’état du New Jersey aux États-Unis ou au Québec, le consentement parental ne constitue pas un préalable pour accepter l’identité de genre d’un·e élève. Ces instances scolaires garantissent plutôt aux élèves concerné·e·s le droit à la confidentialité, c’est-à-dire que leur identité de genre ne soit pas divulguée à qui que ce soit sans leur accord explicite, incluant à leurs parents.

La circulaire Blanquer, elle, suggère que les autorités scolaires ne peuvent contrevenir à l’autorité parentale, dans les circonstances où les deux parents ne soutiendraient pas explicitement la demande de leur enfant d’être appelé·e par ses prénom et pronom choisis. Bref, même si la circulaire suggère de mettre en place les conditions d’un « dialogue avec la famille », elle ne se situe pas a priori du côté des jeunes trans. Elle prive de surcroît les établissements scolaires de la possibilité d’être des lieux de sécurité et de résilience pour les jeunes trans qui en ont le plus besoin.

La question des codes vestimentaires genrés

Bon an mal an, des élèves dénoncent les codes vestimentaires de leur établissement scolaire et en contestent le caractère sexiste. En France, le mouvement du #lundi14septembre est encore frais dans les esprits, tout comme l’histoire du « t-shirt de la honte » l’est en Suisse. Là où la circulaire en étonne plusieurs, c’est qu’elle écrit noir sur blanc que les « les règles de vie scolaire, en particulier celles relatives aux tenues vestimentaires, ne (doivent pas faire) l’objet de consignes différenciées selon le genre.

#lundi14septembre : des lycéennes en tenues « indécentes » contre le sexisme (France 24, septembre 2020).

Ainsi, les vêtements et accessoires autorisés et interdits le sont pour tous les élèves sans distinction ». Jean-Michel Blanquer aurait-il cheminé sur la question depuis son évocation-cafouillage autour de la nécessité de se vêtir de façon « républicaine » pour aller au collège ou au lycée ? Rien n’est moins sûr. Toujours est-il que plusieurs chercheuses considèrent que neutraliser le genre dans les codes vestimentaires scolaires contribue à envoyer un message institutionnel fort contre la culture du viol.

C’est peut-être paradoxal, mais la circulaire sur l’accueil des élèves trans constitue à la fois un grand pas en avant, et un recul regrettable. C’est définitivement une avancée, puisqu’elle confirme qu’il appartient bien à l’école de s’emparer à bras-le-corps des sujets relatifs à l’identité de genre, de faciliter les expériences scolaires de ces jeunes, mais également de mettre en place les conditions leur favorisant une vie bonne. Elle constitue pourtant aussi un recul puisqu’elle dépossède les jeunes mineur·e·s de tout pouvoir d’action sur leur transition scolaire. Alors que, jusqu’ici, des arrangements à l’amiable pouvaient se faire à la discrétion des personnels impliqués, la circulaire tranche, non en faveur des jeunes personnes concernées et rendues vulnérables par l’école, mais en faveur ultime de leurs parents.The Conversation

Gabrielle Richard, sociologue du genre, Université Paris-Est Créteil Val de Marne (UPEC)

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.