A chaque nouveau président de la République, son plan de développement du Sénégal. Cette fois-ci c’est dans une sorte de prolongation de l’élection présidentielle du 24 mars 2024 que le président Bassirou Diomaye Faye et son Premier ministre, Ousmane Sonko, à un peu plus d’un mois des législatives anticipées, ont présenté, le 14 octobre 2024, leur référentiel économique dénommé «Sénégal 2050».
Si les symboles comptent, le Plan Sénégal émergent (PSE), qui devait courir jusqu’en 2035, des ruptures ont été observées, contrairement au précédent plan de l’ex-président Macky Sall. Le nouveau référentiel, réalisé dans des délais records sous l’égide d’un cabinet d’étude local et lancé en terre sénégalaise dans la nouvelle ville de Diamniadio, s’adosse principalement sur un financement public endogène.
En tant que chercheurs spécialisés en économie du développement et analyse financière, nous avons décrypté le référentiel “Sénégal 2050”. Dans ce qui suit, nous allons présenter la vision globale ce nouveau référentiel, avant de procéder, dans un deuxième point, à son analyse critique.
Pays “souverain, juste et prospère”
En dehors des Plans d’ajustement structurels (PAS), qui s'apparentaient à des cures d’austérité imposées par les institutions de Bretton Woods, quatre plans et programmes, ont été mis en oeuvre depuis les indépendances à nos jours. Ils ont généralement mobilisé des financements externes et ont fini d'accroître les déficits jumeaux (commercial et de la balance commerciale). Le modèle économique sénégalais peine alors à créer de la valeur, en atteste son insertion primaire au commerce mondial.
Sur le plan institutionnel, malgré la relative stabilité du pays, la gouvernance politique n’a pas satisfait les attentes des citoyens.
En dépit de quelques améliorations notées en 2022, le Sénégal est classé parmi les pays avec les plus faibles indicateurs socioéconomiques (169 sur 193, l’Indice de développement humain (IDH) du pays était de 0,511).
Face à ce constat peu reluisant, le nouveau référentiel, qui donne un cadre gouvernemental au “Projet” du candidat de “Diomaye 2024” (nom de la coalition qui a porté le président Faye au pouvoir en mars 2024), veut initier une révolution copernicienne. Le nouveau modèle de développement conçu devrait, d’ici à 2050, faire du Sénégal un pays “souverain, juste et prospère”.
Les axes stratégiques
Afin d’enrayer la fabrique de la pauvreté et d’aller vers un Sénégal « souverain, juste, prospère », la nouvelle stratégie de développement systémique s’articule autour de quatre axes stratégiques :
- une économie compétitive ;
- un capital humain de qualité et une équité sociale ;
- l’aménagement et un développement durables ;
- une bonne gouvernance et engagement africain.
Ainsi, sur les 25 années à venir, la nouvelle vision se fixe comme objectif une croissance annuelle moyenne du produit intérieur brut (PIB) de 6,5 %. Cet accroissement historique de la richesse nationale devrait bénéficier aux Sénégalais qui, outre un triplement du PIB par habitant qui passerait de 1660 $ à 4500 $, verraient les inégalités sociales et l’iniquité territoriale fortement réduites. Cependant, la résorption de ces dernières passera nécessairement, entre autres, par une autonomie énergétique avec une capacité additionnelle de 10 000 MW d’ici à 2050.
La maîtrise des coûts - selon la trajectoire de ce plan : 110 FCFA/kWT (0,16 $) aujourd’hui contre moins de 0,13 $ et 0, 10 $ respectivement en 2034 et 2050 - pour le Sénégal, devenu un pays producteur d’énergies fossiles (gaz et pétrole), devrait augmenter significativement l’intensité énergétique - rapport entre la consommation d'énergie d'un pays et son produit intérieur brut (PIB) - de l’économie et sa compétitivité. D’autre part, un aménagement économique durable du territoire autour de huit pôles justifiés par l’exploitation et la valorisation par la transformation locale d’avantages absolus/comparatifs sur toute les chaînes de valeur.
Cependant cette perspective 2050 aussi lointaine qu’incertaine doit d'ores et déjà apporter des réponses aux préoccupations économiques conjoncturelles (cherté de la vie, chômage, logement, insécurité, inondations, …), notamment celles d’une jeunesse souvent désœuvrée. Celle-ci, après avoir largement porté la candidature du duo Diomaye-Sonko, cherche à rallier clandestinement par la mer l’eldorado européen transformé progressivement en forteresse.
Un financement endogène
Moins d’un mois après les révélations du gouvernement sur l'état des finances publiques donné par le précédent gouvernement, des interrogations subsistent sur la capacité de mobilisation des fonds nécessaires au financement de la première phase quinquennale du plan « Sénégal 2050 ». Elle est évaluée à 18 496,83 milliards de FCFA, soit 29.5 milliards de dollars. Ces révélations ont entraîné, deux semaines plus tard, une dégradation de la note souveraine du pays placé sous surveillance par l’agence de notation américaine Moody’s.
Contrairement au Plan Sénégal émergent (PSE) du régime précèdent, le financement s’appuiera principalement sur la mobilisation de ressources endogènes. Il serait judicieux de penser que le programme d’investissement public établi à 12 841,4 milliards de FCFA (21,33 milliards de dollars) - déjà acquis selon le gouvernement -, outre l’élargissement de l’assiette fiscale, bénéficiera des retombées de la rente des hydrocarbures, totalement passée sous silence par les autorités. Pour les 5675,83 milliards de FCFA (9,52 milliards de dollars) restants, le concours du secteur privé est attendu.
Revoir les données du référentiel
Certaines données et prévisions du document Stratégie nationale de développement 2025-2029 mériteraient d’être actualisées, notamment celles concernant le niveau de la dette. En effet il est indiqué dans le document que l’encours de la dette publique s'élève à 73,6 % du PIB. Or, lors d'un point de presse du 26 septembre 2024, le gouvernement a déclaré qu’en fin 2023 la dette de l’Etat central (hors secteur parapublic) était en réalité de 83,7 % du PIB.
Cela explique-t-il la prudence du gouvernement dans sa projection du taux de croissance moyenne de l’économie sénégalaise (à 6,5 %) entre 2025 et 2029 ? Si le gouvernement respecte son engagement en matière de rationalisation des dépenses publiques, cela ne devrait pas constituer un frein majeur et la croissance potentielle du Sénégal sur cette période devrait être plus élevée que prévu. A titre de comparaison, entre 2012 et 2019, le taux de croissance moyenne du Sénégal était de 5,45 % sans exploitation d’hydrocarbures. L’exportation récente d’hydrocarbures va nécessairement améliorer la croissance potentielle du pays dont le niveau in fine dépendra des choix stratégiques d’investissement du gouvernement.
A l’horizon 2050, le Sénégal devrait se hisser sur le podium des économies de la Communauté économique des Etats de l'Afrique de l'Ouest (Cedeao). Pour ce faire, il faudrait au moins une phase de croissance économique à deux chiffres sur au moins une décennie. Ce taux est réalisable. Tout dépendra de ce qui sera réellement fait des 19,31 milliards de dollars d’investissement public hors contrepartie du privé.
Prioriser les projets et concentrer les investissements
Le Plan d’actions prioritaires (PAP) cible un certain nombre de secteurs et de programmes décennaux dans lesquels l’État projette d’investir. Les choix des projets sont pertinents et justifiés au regard du diagnostic stratégique réalisé par le gouvernement. Cependant, un travail additionnel de priorisation semble nécessaire dans la première phase 2025-2029 du projet pour construire un avantage stratégique de rupture à même de profiter durablement à la compétitivité internationale de l’économie sénégalaise.
Les 19,31 milliards de dollars d’investissement public devraient, selon nous, être concentrés dans moins de projets qu’il est prévu dans le PAP. « Ne divisez jamais vos forces », conseille le célèbre stratège chinois Sun Tzu. En effet, la dispersion des investissements risque de ne produire que de petites avancées. Or le pays a besoin d’une rupture stratégique. Une option pourrait être de concentrer en priorité les investissements dans les industries sidérurgiques et agroalimentaires et de subordonner les investissements en capital humain à la réalisation des objectifs assignés à ces deux secteurs.
Répartition de l'investissement public hors garantie de l'Etat
Acier à faible coût
Le gouvernement sénégalais envisage de développer la filière fer et métallurgie. Il parait pertinent d’y consacrer l’essentiel des investissements. En effet, la transformation du Sénégal et de l’Afrique nécessitera une grande consommation d’acier, actuellement produit essentiellement hors du continent africain. Un avantage comparatif est donc à bâtir dans ce secteur en vue de la Zone de libre-échange continental africaine à venir.
Acier et énergie à faible coût et utilisation intelligente de joint-ventures (co-entreprises), telle est la potion magique de l’industrialisation du Sénégal. En effet, l’énergie et l’acier sont d’importants intrants pour l’industrie manufacturière. Dans une économie globalisée, tout pays qui construit sa politique d’attractivité internationale sur ces deux intrants attirera inéluctablement de nombreux industriels du monde qui cherchent en permanence à réduire leurs coûts de production.
Dans une telle perspective, les joint-ventures (51 % État - 49 % firmes), associés à des avantages fiscaux spécifiques, constituent un outil stratégique formidable pour attirer des firmes performantes sur le plan technologique tout en gardant la main sur la politique industrielle du pays.
Définir et quantifier les objectifs
Il manque dans le référentiel du gouvernement de définir un objectif clair et quantifié en termes de rendement-production et un calendrier prévisionnel à sa réalisation. A titre d’exemple, le rendement des cultures céréalières au Sénégal en 2022 s’élève à 1931,9 kg par hectare, soit 2,16 fois moins que la moyenne mondiale.
Définir précisément le niveau d'augmentation nécessaire du rendement agricole pour que l’objectif soit considéré comme atteint permettrait un meilleur pilotage de la politique agricole et alimentaire du pays. Le recours à des incitations fiscales pour mobiliser l’épargne privée locale, l’utilisation de techniques de marketing modernes pour encourager la consommation de produits locaux éco-responsables sont autant d’éléments qui amélioreront l’efficacité de la politique alimentaire.
En définitive, “Vision Sénégal 2050” est un projet ambitieux qui peut permettre au Sénégal de connaître le succès économique qu’attend sa jeunesse. Mais comme toujours, il ne suffit pas d’avoir un bon projet économique pour réussir à développer un pays. Le succès économique du Sénégal pourrait être encore plus important. Et pour cela, il faudrait que le gouvernement s’emploie avant tout à bâtir un avantage comparatif de premier choix.
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Alassane Diallo, enseignant-chercheur, Université Amadou Mahtar MBOW de Dakar et Théophile BASSENE, Ph.D, Enseignant, Université Paris-Est Créteil Val de Marne (UPEC)