Article écrit par Sophie Barre, Doctorante en Psychologie du sport à l'UPEC.
Cet été, les athlètes français seront sous nos yeux pour tenter de remporter des médailles. Or, leurs performances sont aussi liées à ceux qui ne sont pas directement sous le feu des projecteurs : leurs entraîneurs.
Aujourd’hui, l’encadrement des sportifs intègre de nombreuses dimensions de la performance, de la préparation physique à la technique, en passant par la nutrition. Cependant, dans le domaine de ce que l’on nomme communément « le mental », les connaissances restent limitées, bien qu’en psychologie du sport, l’entraîneur est souvent considéré comme le « premier préparateur mental ».
En tant qu’entraîneur, l’enjeu est de trouver la meilleure manière possible pour accompagner l’athlète vers ses objectifs. En tant que sportive ou sportif, il s’agit de s’appuyer sur ces orientations données par l’entraîneur pour performer, malgré les pensées et émotions intenses qui peuvent s’imposer.
La lutte, terrain d’étude privilégié
Pour comprendre le fonctionnement de cette relation entraîneur-athlète, nous avons étudié dans le cadre d’une thèse de doctorat comment l’entraîneur et l’athlète identifient, comprennent, utilisent et gèrent leurs propres émotions et celles de l’autre (ce que l’on nomme compétences émotionnelles), en compétition de lutte, que ce soit avant, pendant, ou après un match.
Nous ciblons la lutte, car cette discipline sportive olympique, une des plus anciennes, par sa nature et son organisation, se différencie des autres : un sport individuel de contact, de combat, à catégorie de poids. Les athlètes concourent dans un style en particulier : lutte libre, lutte féminine, lutte gréco-romaine. Les matchs durent deux fois 3 minutes, avec une mi-temps de 30 secondes. L’entraîneur est assis au « coin de tapis » durant tout le combat, peut parler à son athlète, et monte sur le tapis à la pause pour lui parler, lui donner à boire ou encore lui décongestionner les muscles. Lors d’une compétition, les athlètes luttent entre un et cinq matchs.
Pour comprendre comment entraîneurs et athlètes gèrent leurs émotions, nous avons étudié quatre binômes entraîneur-athlète en championnat de France. Nous avons mis en place des enregistrements audiovisuels durant les matchs. Les entraîneurs étaient équipés de micros-cravates, une première caméra filmait l’ensemble du tapis, et une seconde, focalisée sur l’entraîneur, enregistrait ses gestes et son comportement pendant le match. Les jours suivant la compétition, nous avons réalisé des entretiens d’explicitation avec chaque participant afin de revenir sur un moment où, selon eux, cette relation a eu une incidence sur leur performance.
Ce type d’entretien permet aux individus de « revivre » ces situations singulières, de mettre en lumière leurs actes cognitifs et les éléments pertinents qu’ils sélectionnent dans l’environnement à ce moment-là. Nous avons par la suite croisé les données obtenues au cours des entretiens des athlètes comme des entraîneurs. Nous avons également associé les données vidéo et audio lorsqu’elles étaient en rapport avec les situations sélectionnées par les participants.
La relation avec l’entraîneur au cœur de la motivation
Nos résultats montrent que l’entraîneur cherche à identifier les émotions de son athlète. Pour ce faire, il va être attentif à différents signaux non verbaux chez ce dernier, comme son regard, ses gestes, ou encore son rythme respiratoire. L’entraîneur va les interpréter et agir en conséquence : il va alors lui parler, lui donner des consignes techniques, employer des mots rassurants pour gérer son état émotionnel, orienter son discours sur la dimension mentale pour le motiver, ou encore le toucher ou le masser, employant ainsi des modes de communication non verbaux. L’entraîneur va ainsi adapter son comportement dans le but de « contaminer positivement » l’athlète.
En amont de cela, l’entraîneur va d’abord identifier et gérer ses propres émotions. En conséquence, il affichera un certain comportement qu’il juge adapté pour impacter positivement l’athlète. Par exemple, un entraîneur peut douter quant à la capacité de son athlète à faire face au stress avant un match important, d’après des signaux (gestes parasites, ne tient pas en place, regard alerte…) qu’il identifie chez lui. Il va alors prendre la précaution de ne pas lui transmettre ce doute. Pour cela, il cherchera à le mettre en confiance, lui rappeler les victoires précédentes, lui faire voir les choses sous un autre angle, lui démontrer qu’elle ou il n’a pas à avoir peur.
Mais la relation entraîneur-athlète va aussi dans le sens inverse. L’athlète va ainsi chercher à identifier les émotions de son entraîneur, en se basant sur les mêmes indices. Le lutteur semble chercher la validation de son coach, et à le rendre fier.
Un coach supportif pour se redresser en cas d’échec
Une de nos études de cas montre un athlète perdre un match, ce qui sonne la fin de sa compétition. Il ressort du tapis abattu, muet, et profondément touché. Il aperçoit son entraîneur à la sortie du tapis : « il m’a mis la main dans le dos, il m’a accompagné ». Le lutteur remet tout en question, et se dit qu’il a dû décevoir son entraîneur qui a investi tant de temps dans la préparation de cette grosse échéance. Il s’en veut. Mais son entraîneur lui remonte le moral, relativise, parle déjà du travail qui peut être mis en place pour avancer vers les prochains objectifs. Le lutteur raconte : « il était souriant, il m’a dit “c’est comme ça, ça arrive, tu vas t’entraîner plus” ». L’entraîneur souligne ce qu’il a voulu faire, « lui dire : “c’est pas grave, on va bosser ! T’inquiète pas !” […] T’essaie de le remotiver ».
Ces actions réciproques contribuent à renforcer la proximité entre le sportif et son coach, leur complémentarité et leur engagement dans la relation, et contribuent à la performance. Nos résultats soulignent toutefois que les habitudes et la routine dans la relation peuvent mener à des interprétations faussées des comportements de l’autre. En effet, un entraîneur peut utiliser certaines phrases dans le but de motiver l’athlète, mais sans rendre compte de l’effet réel qu’il a sur ce dernier. Les actions mises en place par la suite ne sont alors pas optimales.
Les résultats obtenus dans ce travail serviront à la formation d’entraîneurs, pour les sensibiliser et les aider à comprendre les différentes facettes de leur activité et leur impact sur les athlètes. Des perspectives se dessinent également concernant l’enrichissement des formations aux compétences émotionnelles, en insistant sur cette dimension entraîneur-athlète, et en donnant des exemples de situations sportives concrètes.
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Sophie Barre, Doctorante en Psychologie du sport, Université Paris-Est Créteil Val de Marne (UPEC)