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Rentrée et stress : comment ne pas se retrouver dans la zone rouge

Publié le 5 septembre 2016

Article d'Antoine Pelissolo, Professeur de psychiatrie à l'UPEC, publié sur The Conversation France

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le 5 septembre 2016

Chacun aimerait prolonger indéfiniment le bénéfice des vacances, au-delà de la rentrée. Garder l’insouciance et la légèreté gagnées à la plage, rester de bonne humeur. Seulement le quotidien reprend rapidement ses droits, et avec lui, le stress.

Le mois de septembre marque la fin de l’été et s’ouvre sur un programme généralement moins réjouissant : la reprise des études ou du travail, l’approche de l’automne. Nous avons tous des souvenirs de stress de cette période, plus ou moins intenses, rattachés notamment aux retours en classe de notre enfance. Mais l’anxiété normale dans cette phase de changement peut, chez certains, prendre des proportions alarmantes. D’autant plus dans le contexte actuel de menace terroriste. Des moyens existent pour éviter de se retrouver, trop tôt, trop vite, dans la zone rouge.

Nous, psychologues, sommes souvent interrogés sur la différence entre l’anxiété normale et l’angoisse pathologique. De fait, la frontière est mince. L’anxiété, comme sa grande sœur la peur, est une émotion indispensable à la vie : elle permet de mieux réagir aux dangers, d’anticiper, de s’adapter au monde. Mais, à un degré élevé, elle se révèle envahissante, douloureuse et perturbante. Tout comme la peur devient phobie quand elle prend systématiquement le contrôle de la personne dans une situation donnée, l’anxiété devient pathologie quand elle perturbe durablement le corps et l’esprit dans son rapport à l’avenir.

Palpitations, tremblements, manque d’appétit

Pour la majorité d’entre nous, les perturbations induites par le (mini-)événement de la rentrée restent modérées. Elles peuvent être fortes le jour même ou la veille, marquées par une tension nerveuse, des difficultés à se concentrer et à tenir en place, des troubles du sommeil ou de l’appétit et une très grande diversité de signes physiques propres à chaque individu : troubles digestifs, bouffées de chaleur, palpitations, tremblements, etc.

Ces symptômes ne sont pas paralysants et surtout, ils sont passagers, disparaissant au bout de quelques heures, quelques jours au grand maximum. Ils sont là pour nous maintenir en alerte et signaler à notre organisme, corps et esprit, qu’un cap délicat doit être franchi. Il s’agit bien d’une anxiété normale, proportionnée, qui s’explique par la nouveauté et l’incertitude : qui vais-je avoir comme nouveaux collègues ? Quels seront les objectifs de la saison ? De quelle humeur sera mon chef ? La situation ne se présente qu’une fois par an et son caractère quelque peu dramatique est souvent amplifié par le discours ambiant et médiatique.

De plus, comme dans toute émotion, le poids du passé et de la mémoire est important, quoique plus ou moins conscient, avec les reviviscences des jours de la rentrée des classes dans l’enfance.

Tout ceci conduit à une tension que l’on peut qualifier de positive, car elle permet d’être présent et motivé. Beaucoup de personnes ressentent d’ailleurs un réel plaisir à cette excitation. Le sentiment de bien-être est même décuplé après coup quand, finalement, l’obstacle est franchi et qu’on se dit que « c’était peu de choses en fait », avec la satisfaction d’avoir réussi un petit challenge personnel.

Le « syndrome de la rentrée » n’existe pas

Cette anxiété normale est plus ou moins marquée, selon le tempérament de chacun et les circonstances. C’est le résultat de la psycho-diversité, qui fait la richesse des comportements humains, garante de l’adaptabilité de notre espèce selon les lois de la psychologie évolutionniste. Mais, dans certains cas, on passe dans la zone rouge et la pathologie. Il faut se garder, néanmoins, de tomber dans la caricature. Il n’existe pas de « syndrome de la rentrée », gravissime et fatal, qui mériterait sa place dans les classifications des troubles psychiatriques.

De nombreuses personnes vivent réellement mal cette période, de sorte que les signes décrits plus hauts deviennent très handicapants : grandes difficultés à se concentrer et à réfléchir, instabilité, insomnie sévère, symptômes physiques très marqués. De plus, ils apparaissent longtemps avant la rentrée et persistent longtemps après (des jours, voire des semaines).

Un risque de licenciement, un conflit relationnel

Deux facteurs concourent au dépassement du seuil de l’anxiété pathologique : un environnement perturbant et des fragilités individuelles. Chez les personnes anxieuses de nature, la survenue de stresseurs sérieux dans les domaines professionnels, familiaux ou personnels (maladie, risque de licenciement, conflit relationnel, etc.), concomitants de la rentrée, peut faire boule de neige et générer des symptômes qui deviennent en eux-mêmes sources de préoccupation.

Par ailleurs, même avec une rentrée calme en apparence, les personnes souffrant habituellement d’anxiété pathologique ou de dépression risquent de voir leurs symptômes s’aggraver. Les déclencheurs dépendent du type de trouble anxieux : le retour en collectivité en cas de phobie sociale, la reprise des transports en commun et l’éloignement en cas d’agoraphobie, la confrontation à un environnement anxiogène en cas de trouble obsessionnel-compulsif, ou encore la distance avec les proches en cas d’angoisse de séparation. Par ailleurs, les personnes souffrant du trouble anxieux généralisé, qui s’inquiètent des événements négatifs pouvant survenir à l’avenir et supportent très mal l’incertitude, sont forcément déstabilisées par cette nouvelle page qui se tourne et dont beaucoup d’éléments sont inconnus.

Gare à l’anxiété de performance

Peut s’y associer, surtout chez les jeunes et les enfants, la fameuse anxiété de performance, spécialement à l’œuvre en début d’année et qui peut conduire, à l’extrême, à l’absentéisme ou la phobie scolaire. Facteur aggravant cette année, les attentats survenus en France durant l’été et les mesures de sécurité qui s’ensuivent, à l’école et dans les lieux publics, déstabilisent encore plus les anxieux, notamment ceux souffrant de trouble anxieux généralisé ou d’état de stress post-traumatique.

Il s’agit de ne pas dramatiser ces situations et de ne pas recourir systématiquement à des médicaments comme les tranquillisants. Quelle que soit l’intensité de la gêne, chacun peut mettre en œuvre quatre principes importants. Ils auront l’avantage de servir dans bien d’autres périodes de stress. Le premier consiste à ne pas lutter à tout prix contre l’anxiété. Viser la zénitude en toutes circonstances, le « zéro-stress », est le meilleur moyen d’augmenter son sentiment d’échec et d’impuissance. Car l’anxiété est naturelle, justifiée et inévitable.

Accepter ses émotions en les regardant en face, les accueillir en ne cherchant pas à les nier ou à les combattre est la voie vers un meilleur équilibre. Ceci ne s’improvise pas, mais se travaille jour après jour, à petites doses, ce qui permet de se familiariser avec sa peur, la rendre supportable et la contenir à un niveau raisonnable.

Se concentrer sur le moment présent

Le deuxième principe consiste à réduire le champ de vision de l’anxiété. La fabuleuse machine que constitue notre cerveau a en effet la fâcheuse tendance à voyager dans le temps, en allant chercher dans notre mémoire et dans notre imaginaire toutes les informations qui pourraient avoir un rapport avec la situation présente. Pour la bonne cause, initialement : mieux analyser et résoudre le problème…

Mais quand il s’agit de sujets inquiétants, hors de notre contrôle car anciens ou pas encore d’actualité, c’est improductif et épuisant. Il est donc indispensable de se concentrer sur le moment présent, sur les tâches à réaliser immédiatement, une après l’autre. Chaque fois qu’une sensation ou une émotion nous ramène vers le passé ou nous projette dans l’avenir, il faut se reconnecter avec le présent.

Choisir l’action

Le troisième principe, classique, n’en est pas moins essentiel : agir. L’anxiété et la peur servent entre autres à se préparer à l’action physique, pour fuir ou se battre. Si ces réponses réflexes étaient pertinentes il y a 100 000 ans dans une jungle hostile pleine de prédateurs, elles le sont moins à présent face à son écran d’ordinateur ou dans son lit la veille de la rentrée… D’où la tension physique liée à cette énergie non dépensée. Et l’intérêt du sport, du yoga, de la marche, bref de toute activité douce et apaisante qui permet d’atteindre l’harmonie du corps et de l’esprit. La relaxation, par exemple, apporte un grand bénéfice sur le sommeil.


Quatrième levier anti-stress : le partage des émotions par le lien social. L’anxiété est soluble dans l’action mais aussi dans la parole. Pas toujours facile quand on n’a pas la chance d’avoir un entourage proche et disponible. Mais toute solution est bonne à prendre : appeler des amis par téléphone ou par Skype s’ils sont loin, discuter avec ses voisins de manière anodine, inviter un collègue à prendre un verre avant la reprise du travail, etc. Tout ce qui permet d’exprimer (sans plainte excessive mais sans honte) ce que l’on ressent fait du bien, et permet aussi de confronter ses réactions à celles des autres, pour éventuellement relativiser et même… se sentir utile en rassurant plus anxieux que soi !

La psychologie positive misant sur toutes les ressources personnelles pour mieux faire face à l’adversité, cette rentrée offre l’occasion de changer certaines de nos habitudes face au stress. On peut apprendre à sortir de la zone rouge et ainsi mieux se préparer aux aléas à venir. Cela peut prendre du temps, alors autant commencer dès les premiers jours de septembre !

The Conversation

Antoine Pelissolo, Professeur de psychiatrie, Université Paris-Est Créteil Val de Marne (UPEC)

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.