• Recherche,

Où est stockée notre mémoire ?

Publié le 4 mars 2020

Article de Véronique Lefebvre des Noettes, psychiatre du sujet âgé, chercheuse associée au Laboratoire interdisciplinaire d'étude du politique Hannah Arendt à l'UPEC, publié sur The Conversation France.

Date(s)

le 4 février 2020

Photo : Photo bNatasha Connell/ Unsplash, FAL

La mémoire est une fonction passionnante et encore mystérieuse, et si l’on peut aisément trouver des lieux de mémoire, sait-on à quel endroit, dans le cerveau, est stockée notre mémoire ?

Nous l’avons vu, elle est plurielle. On ne peut donc l’associer à un seul lieu. Il y a toutefois un lieu de « passage » obligé : l’hippocampe, impliqué à travers le circuit dit de Papez. Et des techniques d’imagerie cérébrale permettent d’identifier quelques structures particulièrement impliquées dans les processus mnésiques, dont l’hippocampe, mais aussi l’amygdale et le cortex préfrontal. Elles fonctionnent en systèmes qui interagissent constamment, et sont liés à nos émotions : il n’y a pas de souvenir qui ne soit lié au contexte émotionnel dans lequel il a été enregistré.

La mémoire fugace des organes sensoriels

Notre cerveau est le centre stratégique des circuits de la mémoire. En permanence sollicités, nos cinq sens envoient en effet leurs informations à l’hippocampe. Celles-ci passent par le filtre du cerveau émotionnel, ou système limbique, pour être projetées vers les aires du cortex cérébral qui leur sont dédiées. Reste que sur le très court terme, différentes mémoires sensorielles (visuelles, olfactives, tactiles, gustatives, auditives) sont gérées par les organes sensoriels.

Ainsi, le fond de la rétine est impliqué dans le phénomène de persistance rétinienne, conservant une information quelques centaines de millisecondes, quand le nerf auditif et les cellules du fond de l’oreille gardent sur ce même laps de temps le souvenir d’un son. Il en va de même pour les trois autres sens, avec toujours ce principe : retenir l’information le temps nécessaire pour y sélectionner les éléments importants. Sachant que ce filtrage intervient en amont de la mémoire à court terme, pour saisir et encoder un « bon » message, il importe donc de corriger un éventuel déficit sensoriel. Quant aux mémoires à court et à long terme, elles sont totalement prises en charge par le cerveau.

Plusieurs arguments plaident en faveur d’un rôle important d’une région située à l’avant du cerveau – le cortex préfrontal – dans la mémoire à court terme. Notamment, quand il s’agit de maintenir disponibles des données nécessaires au raisonnement. Quant à l’encodage de l’information dans la mémoire à long terme, il met en jeu l’hippocampe, les lobes temporaux et les structures du système limbique qui leur sont reliées.

L’hippocampe : un carrefour obligé

Composé de différentes structures enfouies profondément au centre du cerveau, le système limbique joue un rôle important dans la peur, le plaisir, la douleur, l’agressivité ou autres comportements liés aux émotions. Mais plusieurs de ses composantes participent aussi à la mise en mémoire de certains souvenirs. C’est en particulier le cas de deux structures : l’hippocampe, et l’amygdale.

L’hippocampe est formé par plusieurs couches de neurones. Il intervient grandement dans la consolidation de la mémoire à long terme, en particulier dans un type de mémoire que l’on peut faire émerger par le langage (on la dit déclarative), et plus précisément celle des faits et des lieux (dite épisodique, car gardant traces d’épisodes de vie). Son rôle est tel qu’on l’examine attentivement en IRM en cas de maladie d’Alzheimer. Car un signe radiologique d’atrophie des hippocampes, liée à la maladie d’Alzheimer est visible en IRM et nous permet de grader ainsi l’évolution de la maladie.

Les souvenirs d’événements divers et variés ne sont toutefois pas stockés dans l’hippocampe : les informations ne font que transiter dans cette structure, comme dans un carrefour où elles sont associées avant de rejoindre d’autres zones du cortex cérébral (région occipitale pour les souvenirs visuels, temporale pour les souvenirs auditifs, etc.) où elles seront conservées. À l’inverse, notre mémoire spatiale est en partie archivée dans l’hippocampe.

Au cœur du cerveau émotionnel

Autre structure du système limbique impliquée dans la mémorisation, l’amygdale a la forme d’une mûre et se trouve en avant de l’hippocampe. Des études en neuro-imagerie ont montré que son activité augmente lorsque l’individu visualise une scène chargée en émotions, et d’autant plus en cas de stress post-traumatique, ou de peurs. Mais à l’instar de l’hippocampe, elle n’est en revanche pas concernée par un autre type de mémoire à long terme, dite implicite ou procédurale.

Inconsciente, c’est-à-dire automatique, cette mémoire émotionnelle est la plus longtemps mobilisable. De plus cette mémoire implicite est celle des savoir-faire – lacer une chaussure, nouer une cravate, conduire sa voiture, etc. Et elle est plutôt associée à des modifications dans le cervelet (structure cérébrale très liée au contrôle moteur) ou encore dans les ganglions de la base (aussi appelés noyaux gris centraux) et le cortex moteur.

Les deux hémisphères du cerveau

Le cortex, aussi qualifié de matière grise, correspond à la couche la plus externe du cerveau et englobe toutes les autres structures. Il est composé de deux hémisphères cérébraux. Séparés par un sillon, ils ne sont toutefois pas isolés et communiquent entre eux par le biais de fibres nerveuses portant le nom de corps calleux. On sait qu’ils s’entraident et s’échangent en permanence des informations. Mais depuis les travaux de l’Américain Roger Sperry (prix Nobel de physiologie ou médecine en 1981), il est classique de considérer qu’ils ont chacun leurs spécialités – chaque hémisphère recevant en outre des informations sensorielles et commande les réponses motrices de la moitié opposée du corps.

Ainsi, lorsqu’il se produit une AVC de l’hémisphère gauche, le côté droit du corps est paralysé (hémiplégie) et il peut se produire une aphasie, c’est-à-dire une difficulté à parler ou comprendre le langage. L’hémisphère gauche prendrait en effet majoritairement en charge ce qui est analytique : les chiffres, les calculs et tous les processus liés à la numération. Mais à lui reviendrait aussi l’essentiel du traitement du langage, à l’oral comme à l’écrit. Le savoir nous permet de stimuler et de rééduquer la parole et la mémoire grâce à l’orthophonie, par exemple quand un malade souffre de formes particulières d’Alzheimer, ou lorsqu’il présente des signes vasculaires en plus de la neurodégénéresce.

L’hémisphère droit, lui, serait plus impliqué dans la gestion de la nouveauté, des apprentissages, des aptitudes visuospatiales, de la perception des visages ou de la compréhension d’expressions communes, de métaphores ou de sous-entendus. D’où de potentielles difficultés à organiser sa chambre, écrire des dissertations ou analyser un tableau d’art abstrait en cas de lésion dans l’hémisphère droit. In fine, si localiser la mémoire reste du domaine de la recherche, connaître les circuits impliqués nous aide à mieux appréhender et prendre en charge ses défaillances.The Conversation

Véronique Lefebvre des Noettes, Psychiatre du sujet âgé, chercheuse associée au Laboratoire interdisciplinaire d'étude du politique Hannah Arendt, Université Paris-Est Créteil Val de Marne (UPEC)

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.