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Les politiques de bien-être des salariés se diffusent dans les entreprises par effet mimétique

Publié le 13 avril 2021

Un article de Souad Lajili Jarjir, Enseignante-chercheure en finance, Université Paris-Est Créteil et Sabri Boubaker, Professor of Finance, EM Normandie - UGEI.

The conversation -  © Shutterstock
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Date(s)

le 11 avril 2021

De plus en plus d’entreprises accordent une attention particulière à l’investissement dans le capital humain et considèrent le bien-être des employés comme l’un des canaux importants pour réaliser un retour sur cet investissement.

Comment expliquer cette tendance ? Il est établi dans la littérature financière et économique que les agents suivent souvent leurs pairs en observant les autres choix, obtenus par l’interaction sociale, plutôt que d’utiliser leurs propres informations et sans même chercher à connaître les coûts et les avantages des choix alternatifs.

Ainsi, nous avons cherché dans notre étude (article à venir dans British Journal of Management) à vérifier empiriquement une première hypothèse de recherche, à savoir les politiques de bien-être des salariés des entreprises sont positivement associées aux politiques de ressources humaines des organisations homologues.


Le rôle des managers

En effet, les préoccupations des managers en matière de réputation sur le marché du travail les obligent à adopter des politiques de ressources humaines similaires à celles de leurs concurrents, que ces politiques maximisent ou non la richesse des actionnaires ou celle de l’entreprise et de ses parties prenantes.

Par ailleurs, les managers peuvent manquer d’expertise, de connaissances ou de compétences spécifiques. Ils peuvent également être (ou avoir l’impression d’être) moins informés que leurs pairs du secteur, ce qui les conduit à suivre les pratiques des autres entreprises.

Cet argument est développé dans la littérature dans le cadre des modèles de réputation et d’apprentissage qui soutiennent que le mécanisme fondamental derrière le mimétisme n’est pas un suivi irrationnel mais il est dû à des informations, à une distorsion des incitations, ou des capacités cognitives limitées du gestionnaire.

Photo : Les préoccupations des managers les poussent à adopter des politiques de ressources humaines similaires à celles de leurs concurrents. Shutterstock

Ce cadre théorique nous permet de développer une deuxième hypothèse de recherche à tester, à savoir il existe une relation leader-suiveur dans les politiques de bien-être des salariés selon laquelle les entreprises suiveuses imitent les politiques des leaders.

L’influence des pairs

La littérature financière a montré l’importance de l’interaction sociale et des effets des pairs dans la définition des politiques financières d’une entreprise. Par exemple, la politique d’investissement d’une entreprise dépend largement des stratégies d’investissement et de gestion des flux de trésorerie de ses pairs.

De même, il existe des études empiriques suggérant que les décisions de financement des pairs locaux d’une entreprise influencent considérablement ses propres décisions en matière de structure du capital.

Dans notre étude, nous examinons l’effet des stratégies de bien-être des salariés des entreprises homologues sur les politiques de ressources humaines d’une entreprise. La principale motivation de notre étude est le fait que, dans le monde concurrentiel d’aujourd’hui, les salariés qualifiés sont la clé de l’innovation et de l’amélioration de la qualité.

Ainsi, pour conserver leur main-d’œuvre qualifiée, les entreprises doivent investir dans leur capital humain, au moins, si leurs pairs et concurrents du secteur le font ; sinon, ils craignent de perdre cet atout.

Nous mesurons le bien-être des employés grâce à la base de données Kinder, Lydenberg, Domini Research & Analytics (KLD) (rachetée par MSCI ESG Research en 2009), qui mesure les pratiques RSE des entreprises en fonction de sept dimensions (communauté, diversité, relations avec les employés, environnement, produit, droits de l’homme, et gouvernance d’entreprise).

Pour notre variable d’intérêt à savoir le bien-être des salariés, nous avons considéré le score des forces (relations syndicales, politiques d’implication des employés, force des prestations de retraite, programmes de participation aux bénéfices, normes de santé et de sécurité, et d’autres forces) et des faiblesses (relations syndicales, réduction des effectifs, normes de santé et de sécurité, préoccupations concernant les prestations de retraite, et d’autres faiblesses) pour chaque entreprise et chaque année.

Un comportement mimétique créateur de valeur

Nous avons constitué un large panel de données américaines avec 11 451 observations année-entreprise sur deux décennies (1996–2017). En utilisant des techniques économétriques avancées, nous avons testé un modèle empirique expliquant le score de l’entreprise en politique de bien-être de ses salariés en fonction du score de ses pairs et un panel de variables de contrôle.

Nos résultats montrent que les politiques des entreprises comparables jouent un rôle important dans la définition de la politique de ressources humaines de l’entreprise. En particulier, les entreprises suiveuses imitent le comportement des leaders. Les entreprises leaders ne suivent cependant pas les autres. Les analyses montrent en outre que ce comportement mimétique est créateur de valeur.

Photo : Les entreprises suiveuses imitent le comportement des leaders. Shutterstock

En résumé, notre étude montre que les entreprises imitent les pratiques de leurs pairs en matière de ressources humaines. Nos résultats restent robustes avec différentes alternatives de techniques d’estimation et de variables de mesure. Dans le contexte actuel de la crise sanitaire, la responsabilité des entreprises leaders est par conséquent importante pour accélérer les bonnes pratiques en matière de bien-être des salariés au niveau de leur secteur d’activité.The Conversation


Souad Lajili Jarjir, Enseignante-chercheure en finance, Université Paris-Est Créteil Val de Marne (UPEC) et Sabri Boubaker, Professor of Finance, EM Normandie – UGEI

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.