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La maison 100 % autonome existe (en Suède)

Publié le 14 octobre 2019

Article d'Antoine Jolly, enseignant-chercheur en Physique à l'UPEC, publié sur The Conversation France.

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le 14 octobre 2019

Photo : L’autoconsommation, qui consiste à consommer l’énergie que l’on produit, est de plus en plus répandue. Shutterstock


Cet article est publié dans le cadre de la Fête de la science (du 5 au 13 octobre 2019 en métropole et du 9 au 17 novembre en outre-mer et à l’international) dont The Conversation France est partenaire. Cette nouvelle édition a pour thème "À demain, raconter la science, imaginer l’avenir".


2019 serait-elle l’année de la libération pour l’autoconsommation ? C’est en tout cas l’hypothèse formulée dans son dernier hors-série par le Journal du Photovoltaïque. Si l’installation de panneaux solaires s’est développée grâce à un tarif de revente attractif, nous atteignons aujourd’hui la parité réseau, c’est-à-dire la situation dans laquelle le prix de l’électricité renouvelable rejoint celui du réseau électrique national.

L’autoconsommation représente déjà 90 % des nouvelles demandes de raccordement des producteurs électriques de faibles puissances tandis que la loi qui encadre cette pratique ne date que de 2017.

Il semble donc que les producteurs individuels d’électricité préfèrent aujourd’hui consommer l’énergie plutôt que de la revendre. Pourtant le taux d’autoconsommation annuel ne dépasse que rarement 20 à 30 % à cause du décalage entre la production solaire et notre consommation d’électricité. C’est pourquoi l’Ademe incite à conserver un contrat de revente afin d’écouler son surplus. L’agence considère également que le stockage, qui permet par exemple de consommer le soir la production de la journée, n’est pas économiquement rentable du fait du coût des batteries. Quant à l’autonomie, elle semble aujourd’hui impossible car elle nécessiterait des capacités de stockage gigantesque.

En Allemagne, pourtant, pays où la parité réseau a été atteinte en 2012, la moitié des nouvelles installations de petite et moyenne taille ont été installées avec une batterie. Les taux d’autoconsommation peuvent alors atteindre un maximum de 70 %. Le rêve d’une maison totalement autonome semble toutefois encore lointain. Comment imaginer un logement complètement déconnecté du réseau électrique, où tous les besoins énergétiques seraient couverts par des ressources renouvelables ?

Le pari réussi de Hans Nilsson

En Suède, un pionnier s’est lancé dans ce projet fou. Ingénieur à la retraite, Hans Nilsson vit confortablement dans la banlieue de Göteborg dans une maison totalement autonome.

Couverte de panneaux solaires, sa maison fonctionne en totale autonomie, tant pour l’électricité que pour le chauffage, et ce depuis quatre années déjà – l’aventure ayant démarré en mars 2015. Réussir un tel exploit en Suède, le pays où les besoins énergétiques explosent en hiver, avec des températures qui descendent régulièrement sous les 0 °C et un ensoleillement rare, apparaît particulièrement remarquable.

Ce sont sans doute ces difficultés qui l’ont d’ailleurs motivé. Aujourd’hui, son concept vertueux de RE8760, pour « Renewable Energy » pendant 8760 h, c’est-à-dire toute l’année, est source d’inspiration pour de nombreux projets de construction.

Mais comment cette maison fonctionne-t-elle ?

160 m2 de panneaux solaires

On pense en général que l’autoconsommation est impossible sur toute l’année. L’hiver, période où les besoins énergétiques sont les plus importants, coïncide justement avec une irradiation solaire minimale.

Monsieur Nilsson aime visiblement les défis, puisque la surface de sa maison avoisine les 500 m2 ! Si cette taille pèse sur la consommation du bâtiment, elle constitue en contrepartie un atout qui permet l’installation d’une grande quantité de panneaux solaires : 140 m2 sur la toiture et sur la façade en photovoltaïque pour la production d’électricité et 20 m2 de panneaux solaires thermiques supplémentaires pour la production d’eau chaude.

Une telle surface paraît gigantesque pour une simple maison. Généralement, on parle d’installations de panneaux solaires sur 20 à 30 m2. Ici, pourtant, l’objectif n’est pas de revendre l’électricité produite au réseau local, mais bien de la consommer soi-même. Et la faible ressource solaire suédoise doit être compensée par une surface plus conséquente.

La production de son installation se chiffre environ à 22 000 kWh d’électricité par an : une quantité largement suffisante pour la maison de Mr Nilsson. Bien sûr, une grande partie de cette production se fait l’été, en pleine journée, au moment où les besoins sont les plus faibles. Et c’est là toute l’ingéniosité de Monsieur Nilsson : il parvient à stocker plus des deux tiers de sa production, ce qui lui suffit pour tenir l’hiver en Suède.

Un ingénieux système de stockage

Il a mis pour cela en place un système complexe. Il s’appuie principalement sur l’électrolyse de l’eau – qui produit de l’hydrogène à partir du surplus d’électricité – et une pile à combustible – qui utilise l’hydrogène stocké pour produire de l’électricité. En soutien, le système comporte des batteries chimiques au plomb-silicium – un matériau plus lourd mais moins cher que le lithium – dont la capacité atteint les 144 kWh.

Au total, cette capacité électrochimique correspond à peu près à trois batteries de voitures électriques type Renault Zoé et permet une autonomie électrique de cinq jours environ. Dès que les batteries sont chargées, le surplus de production photovoltaïque estival permet le démarrage de l’électrolyse.

Bien sûr, comme pour toute transformation énergétique, celle-ci engendre des pertes. Seuls 60 % de l’énergie électrique sont finalement stockés sous forme d’hydrogène. Pendant les six mois les plus favorables de l’année, la maison de Mr Nilsson fonctionne donc uniquement avec les panneaux photovoltaïques et les batteries chimiques, et les stocks d’hydrogène ne font au cours de cette période que s’accumuler.

Un des défauts de l’hydrogène est d’être très volumineux. Une partie de l’électricité sert donc à compresser le gaz à 300 bar, ce qui a obligé Mr Nilsson à investir dans une grande capacité de stockage. Il produit annuellement plus de 3 000 Nm³ d’hydrogène à partir des 15 000 kWh de surplus électrique.

Pendant les six autres mois de l’année, une grande partie des besoins énergétiques de la maison sont couverts par l’énergie produite par une pile à hydrogène. Mr Nilsson a d’abord utilisé un prototype spécialement développé avec une entreprise suédoise.

Dorénavant, ce genre d’installation se déploie sur le marché de l’habitat domestique. Une pile à hydrogène produit presque autant de chaleur que d’électricité. On pourrait y voir une perte de rendement, mais en l’occurrence, Mr Nilsson en profite pour faire de la cogénération à domicile, c’est-à-dire alimenter à la fois son système électrique et son système de chauffage.

Pas exempt de critiques

Comme dans beaucoup de maisons suédoises modernes, l’isolation est parfaite et le chauffage au sol est alimenté par une pompe à chaleur géothermique, qui puise les calories à plus de 180 mètres de profondeur. Elle ne fonctionne toutefois qu’au cours des périodes les plus sombres et les plus froides de l’année, lorsque la chaleur apportée par les panneaux solaires thermiques et la pile à hydrogène est insuffisante pour maintenir une température confortable dans la maison.

Finalement, Mr Nilsson ne transforme que 2 000 Nm3 d’hydrogène en électricité, soit les 2/3 de sa production. Il envisage d’utiliser le reste pour alimenter une voiture à hydrogène. Mais lui et sa femme ont déjà deux petites voitures électriques, rechargées grâce au surplus de la maison. La voiture à hydrogène, dotée d’une meilleure autonomie, servira pour les longs trajets.

En simplifiant, on peut dire que la maison de Mr. Nilsson fonctionne l’été grâce au soleil le jour et aux batteries la nuit puis l’hiver grâce à l’hydrogène et à la pompe à chaleur.

Les visiteurs se pressent à sa porte, et il a même reçu le ministre de l’énergie suédois. Si la fascination domine, certaines critiques sont récurrentes : le rendement est insuffisant et les coûts trop élevés ! Ce à quoi l’ingénieur rétorque que celui d’un moteur à explosion n’est pas meilleur. Quant au prix, il répond que son système de stockage demeure bien moins cher qu’avec des batteries chimiques dont les capacités sont trop faibles. Mais il admet que son système complet pour l’électricité et le chauffage a coûté très cher – environ 100 000 euros.

À ses yeux, son installation est certes inabordable pour la plupart des propriétaires, mais la commercialisation n’en est qu’à ses prémices. Il estime que les prix baisseront à mesure que les volumes augmenteront. Quant à sa facture énergétique, elle est désormais nulle…

Une source d’inspiration ailleurs en Suède

Hans Nilsson a démontré la faisabilité de son système, en n’utilisant que des techniques et des produits existants. Son objectif désormais ? Inspirer le plus de monde possible. Il a pour cela mesuré et enregistré toutes ses productions et consommations depuis le début de son aventure, avec l’aide d’une équipe de l’université de Luleå.

Non loin de chez lui, la commune de Vårgårda a décidé de rendre autonome tout un quartier d’habitations comprenant 172 logements. Initialement, il s’agissait de rénover des habitations des années 1970 en les isolant pour améliorer leur efficacité énergétique. S’est ajoutée une importante subvention de la région pour installer des panneaux photovoltaïques. Constatant que les habitations allaient consommer une très faible quantité d’énergie, l’idée est venue de les rendre autonomes sur le principe de la maison de Mr. Nilsson.

Cette dernière a aussi inspiré le projet ZeroSun dont le slogan est : si on peut le faire ici, on peut le faire n’importe où. Il s’agit de construire une maison standard autonome dans la région de Skellefteå au bord de la Laponie, là où les hivers sont particulièrement sombres et rigoureux.

L’exploit de l’ingénieur suédois a enfin soufflé l’idée à la commune de Mariestad de la première station-service dont l’hydrogène est produit sur place à partir de panneaux photovoltaïques.


Antoine Jolly, enseignant-chercheur en Physique, Université Paris-Est Créteil Val de Marne (UPEC)

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.