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Conversation avec Antoine Pelissolo  : "Les troubles anxieux sont fréquents, il faut les diagnostiquer"

Publié le 14 janvier 2020

Antoine Pelissolo est professeur de psychiatrie à l’Université Paris-Est Créteil et chef du service de psychiatrie sectorisée au CHU Henri-Mondor. Auteur de nombreux ouvrages de vulgarisation, il est spécialiste des troubles anxieux sévères.

The conversation
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Date(s)

le 14 janvier 2020

Photo : Les troubles anxieux isolent souvent ceux qui en sont victimes. 1388843 / Pixabay


Qu’est-ce qui caractérise les troubles anxieux ?

Tous les troubles anxieux ont en commun la peur et les produits dérivés de la peur que sont l’angoisse et l’anxiété. C’est l’objet sur lequel se fixent ces émotions de peur qui détermine à quelle catégorie de trouble anxieux on a affaire. On en distingue trois types : les phobies, le trouble panique et l’anxiété généralisée.

Dans le cas des phobies, les émotions de peur se fixent soit sur des objets, soit sur des situations. On distingue les phobies simples, ou spécifiques, dans lesquelles la peur concerne un seul objet (par exemple un animal ou une situation particulière), des phobies plus complexes et plus invalidantes que sont l’agoraphobie (la peur des lieux d’où il serait difficile de s’échapper ou d’être secouru) et les phobies sociales.

Le trouble panique se traduit quant à lui par la survenue d’attaques de paniques. Si les premières fois, ces crises d’angoisse surviennent sans aucun déclencheur, elles deviennent ensuite en elle-même le motif de la peur. Autrement dit le trouble panique, c’est la peur d’avoir peur.

Enfin, l’anxiété généralisée concerne plutôt la peur de l’avenir en général, de tout ce qui peut arriver dans la vie : problèmes de santé, d’argent, d’accident, etc. Ces inquiétudes peuvent porter sur soi ou sur les autres, la famille, les proches… Il est question d’événements qui peuvent effectivement se produire dans la vie courante. Cependant les personnes ont tendance à ne plus pouvoir relativiser leur risque de survenue ou leur gravité.

Quels sont les symptômes des troubles anxieux ?

Les symptômes dépendent du type de trouble. Dans les phobies, il s’agit de comportements d’évitement des situations. Ils sont liés à la peur anticipatoire : craignent de se confronter à une situation perçue comme dangereuse et adoptent des stratégies de contournement.

Dans le trouble panique, les personnes subissent au moment des crises d’angoisse tous les symptômes du stress, mais de façon extrêmement intense : leur cœur s’emballe, leur respiration se bloque ou s’accélère, ils ont des troubles de l’équilibre, des bouffées de chaleur… Le fait d’avoir tendance à avoir peur de la survenue de ces symptômes les aggrave, c’est un cercle vicieux.

L’anxiété généralisée s’accompagne quant à elle des mêmes signes physiques que le trouble panique, mais ils sont moins « explosifs ». Les patients ressassent, ruminent, sont tendus tout le temps, hypervigilants. Ils ont des problèmes de concentration, éventuellement des douleurs, et surtout du mal à s’endormir à cause de la tension nerveuse : lors des consultations, l’insomnie est souvent leur plainte principale.

Ces troubles sont-ils fréquents ? Qui concernent-ils ?

On considère qu’environ 10 % de la population sera touchée par un trouble anxieux à un moment de sa vie. Celui-ci peut durer quelques mois ou quelques années. Les femmes sont environ deux fois plus concernées que les hommes. Les formes graves, sources de handicap et qui requièrent un traitement médicamenteux, concernent quant à elles environ 15 à 20 % des patients.

La plupart des phobies surviennent généralement au début de la vie, soit durant l’enfance soit à l’adolescence. Les attaques de panique, qui peuvent se transformer en trouble panique, se produisent plutôt vers 20 ou 30 ans. Enfin, l’anxiété généralisée se développe habituellement plus tard, vers 30 et même 40 ans, chez des gens qui étaient plutôt d’un tempérament un peu anxieux mais arrivaient à gérer jusque-là.

Ces troubles sont tellement fréquents qu’ils peuvent concerner tous les profils de la population, même si souvent les personnes qui en sont victimes présentent une émotivité et une sensibilité un peu plus forte que les autres, sans qu’elle soit toutefois anormale. Il pourrait y avoir des facteurs biologiques qui favorisent l’émergence d’un trouble ou d’un autre, mais on ne les connaît pas bien. Aucun facteur génétique n’a par exemple pu être clairement mis en évidence.

Quelles conséquences les troubles anxieux ont-ils sur la santé et la vie des patients ?

Les conséquences varient selon le degré de l’atteinte. Elles peuvent être importantes, même s’il n’y a pas de risque immédiat pour la santé. Les conséquences physiques surviennent en effet plutôt à long terme. Dans le cas de l’anxiété généralisée, par exemple, le fait d’avoir du mal à dormir peut mener à un épuisement. La dépression est aussi souvent associée aux troubles anxieux : elle concerne une personne sur deux, ce qui est plus élevé que dans la population générale. La consommation de drogues ou d’anxiolytiques est aussi un problème.

En outre, à long terme, le risque de maladies cardiovasculaires est accru par le stress. En effet, même s’il n’est pas suffisant pour déclencher à lui seul des infarctus ou des troubles du rythme cardiaque, il s’ajoute aux autres facteurs de risques.

Enfin, le handicap social peut également être important. On sait notamment que les personnes atteintes de troubles anxieux graves sont socialement moins insérées. Elles sont moins souvent en couple, atteignent des niveaux socio-économiques inférieurs à ceux des autres, etc. D’après une étude suédoise récente portant sur plus de 15 000 enfants, le fait de souffrir de phobie sociale réduit de 50 à 75 % les chances de réussir sa scolarité et ses études supérieures.

Ce genre de trouble est souvent vécu avec honte. Les gens n’en parlent pas, par peur de ne pas être compris. En effet, si on n’est pas soi-même concerné, la première tendance peut être de banaliser les choses, de penser qu’on a tous connu quelques peurs et qu’on les a surmontées, que ce n’est pas si grave. Ces réactions isolent encore davantage les patients.

Comment soigne-t-on les troubles anxieux ?

On essaie généralement d’intervenir le plus tôt possible, pour éviter que le trouble ne s’aggrave.

Il s’agit d’appliquer des mesures dites « comportementales », qui visent à apprendre aux patients à combattre les évitements, à ne pas changer leur mode de vie parce qu’ils ont peur de certaines situations. Basées sur l’analyse des peurs et les changements des réactions émotionnelles, les thérapies comportementales et cognitives sont efficaces pour soigner la plupart des troubles anxieux sur des durées relativement courtes. D’autres formes de thérapies ou de psychothérapies peuvent y être associées. Ces méthodes permettent d’accomplir des changements en profondeur, à long terme et sans risque d’effet secondaire. Elles demandent juste un peu d’investissement.

Pour les patients atteints par des formes sévères, un traitement médicamenteux peut être envisagé. Il s’agit de traitements au long cours, qui ne se décident pas pour des symptômes passagers. Ils sont basés sur des antidépresseurs. Les anxiolytiques (Xanax, Temesta, Lexomil…) sont déconseillés, car s’ils soulagent sur le moment, ils n’ont pas d’effet bénéfique à long terme et peuvent entraîner des dépendances. Généralement la prise en charge se fait en médecine de ville. Il n’existe que peu de structures spécialisées dans notre pays. On peut le regretter, car il peut être bénéfique pour les patients d’avoir affaire à des professionnels spécialisés.

Les troubles anxieux sont fréquents, c’est pourquoi il est important de les diagnostiquer. Il faut que tout le monde sache qu’ils existent, afin de ne pas stigmatiser les personnes qui en sont atteintes, en particulier dans le milieu professionnel. Nous avons tout à gagner à aider ceux qui en souffrent. D’autant plus qu’il peut s’agir de soutiens simples, tels que des incitations à entamer des démarches de soin.


Antoine Pelissolo est professeur de psychiatrie, Université Paris-Est Créteil Val de Marne (UPEC)

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.