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Accord de Paris : tirer les leçons du mécanisme de développement propre

Publié le 21 avril 2016

Article de Roman de Rafael, doctorant en sciences économiques à l'UPEC, publié sur The Conversation France

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Date(s)

le 21 avril 2016

En 1997, le protocole de Kyoto a fixé comme objectif aux États industrialisés de parvenir en 2012 à une réduction de 5 % de leurs émissions de gaz à effet de serre (GES) par rapport à celles de 1990. Les autres États ne sont, eux, pas soumis à une telle contrainte.

Certaines flexibilités ont été instaurées pour les États contraints afin qu’ils atteignent ces objectifs le plus efficacement possible. Ces derniers peuvent ainsi acheter ou vendre leurs quotas d’émissions entre eux ; ils peuvent également obtenir des crédits carbone issus de projets menés dans les pays en développement (Chine, Inde, Brésil, etc.).

Ce second dispositif, appelé « mécanisme de développement propre » (MDP), poursuit un double objectif économique et environnemental : permettre aux États industrialisés de réaliser des économies en réduisant les GES dans d’autres pays ; accompagner les pays émergents sur la voie du développement durable.

Fin 2015, l’accord de Paris a jeté les bases (article 6, paragraphe 4) d’un nouveau dispositif très semblable au MDP. Après 2020 – année qui marque la fin du protocole de Kyoto – un nouveau mécanisme de projets devrait donc remplacer le MDP, alors même que ce dernier suscite une très forte défiance, notamment de la part des ONG qui ont maintes fois pointé ses dysfonctionnements.

Le MDP, un feu de paille ?

7 703 projets jugés conformes à l’ensemble des critères et des règles du MDP ont été « enregistrés » auprès de la Convention-cadre des Nations unies pour le changement climatique (CCNUCC). Parmi ces projets, 2 291 ont effectivement transformé les réductions de GES déclarées en crédits carbone. 1 656 millions de tonnes de CO2-équivalent auraient ainsi été réduites entre 2004 et avril 2016 et transformées en crédits carbone ; ce qui représente environ trois ans et quatre mois d’émissions françaises.

La CCNUCC estime les transferts financiers Nord-Sud liés au paiement des crédits carbone entre 9,5 et 13 milliards de dollars sur la période 2007-2011 ; le total des investissements s’élevant à 95 milliards de dollars, uniquement pour les projets qui ont effectivement reçu des crédits carbone.

Malgré ce succès quantitatif, la société civile, relayée par les ONG, continue de se montrer réticente.

Le marché du carbone est en outre atone, avec un crédit qui se négocie en deçà de 50 centimes de dollar, contre 9 à 15 dollars pour la période 2009-2012. Par ailleurs, son unique débouché, l’Union européenne, a retiré son soutien au MDP en 2012. Cette décision s’explique à la fois par la volonté de l’UE de réduire la quantité de quotas en circulation sur son propre marché et par un contexte marqué par de multiples controverses au sujet de l’intégrité du MDP.


Risoe UNEP, Author provided
 

Un mécanisme complexe et controversé

Nombre de critiques à l’égard de ce dispositif concernent les règles auxquelles un projet doit se conformer pour bénéficier de la finance carbone. Ce n’est en effet qu’au terme d’un processus long, coûteux – et impénétrable pour le néophyte –, qu’une entreprise pourra vendre des crédits carbone. Ce processus est nécessaire pour vérifier, grâce à un tiers indépendant (un cabinet d’audit), que le projet certifié agit bien sur les GES mesurables qu’il affirme réduire et qu’il observe des critères de bonne gouvernance et de respect de l’environnement.

Malgré les efforts de la CCNUCC pour fluidifier le processus, il faut en moyenne 100 jours aujourd’hui (plus de 600 jours en 2010) pour suivre toutes les étapes de la certification, sans compter les dizaines de milliers de dollars en frais de conseil et d’audit. Cette situation rend difficile l’accession du dispositif aux petits porteurs.

La nécessité pour un projet de prouver qu’il est « additionnel » – c’est-à-dire qu’il a besoin de la finance carbone pour devenir au moins aussi attractif financièrement que d’autres projets « classiques » – pose d’autres problèmes. Différents travaux, notamment ceux de Michaelova et Purohit, Lohmann, Wara et Victor ou encore Schneider, ont montré que le concept d’additionalité avait été galvaudé à la marge, voire totalement dans certains cas.

Le MDP a en outre permis l’émergence de projets peu durables de la part du secteur privé. On peut citer à ce propos les grands barrages hydrauliques, ceux liés à l’industrie de l’huile de palme (déforestation) ou encore certains projets « industriels » critiqués pour leur sur-rentabilité et leurs effets pervers. Un projet peut ainsi générer plusieurs centaines de millions de dollars de revenus grâce à la vente de crédits carbone avec un investissement de départ très faible.

Prenons, par exemple, les 22 projets industriels dits « HFC-23 » qui ont généré à eux seuls 32 % de crédits carbone issus du MDP. Ces projets consistent à diminuer le pouvoir de réchauffement d’un gaz particulièrement polluant, le HFC-23, en l’incinérant. Le HFC-23 est rejeté lors de la production d’un autre gaz utilisé par l’industrie chimique (dans la fabrication de nylon par exemple), le HCFC-22.

Or, réduire une tonne d'équivalent CO2 sur ce type de projets coûte environ 1 dollar ; le MDP permettant ensuite de vendre pour cette opération un crédit carbone entre 10 et 15 dollars, cela devient une affaire très lucrative pour les industriels de la chimie. Mais cela pose un véritable problème lié à l’effet d’aubaine : il y a incitation à produire plus de HCFC-22 pour avoir davantage de HFC-23 à brûler et de crédits carbone à récupérer ; or le premier gaz a des effets destructeurs sur la couche d’ozone. Cela n’engage, d’autre part, aucunement à mettre en place les meilleures technologies disponibles pour abaisser le ratio des rejets de HFC-23 à partir du HFCF-22.

Enfin, le principe incitatif du MDP pose problème : il est fondé sur la réduction de GES par rapport à un scénario de référence, ce qui implique que plus la situation de départ est mauvaise, plus il y aura de GES à réduire et donc une meilleure rentabilité grâce au MDP. Malgré les efforts de la CCNUCC pour encadrer ce biais, il y a ici une incitation à en faire le moins possible pour ensuite réduire au maximum les GES. Rien n’est proposé pour récompenser les « bons comportements ». Cette logique a été, on l’a vu, à l’œuvre dans certains projets « HFC-23 ».
 

Profiter du retour d’expérience

Au centre des critiques à l’égard du MDP, c’est donc le souci de l’efficacité économique aux dépens du respect de l’environnement qui est souligné.

Ce dispositif, en permettant de trouver des tonnes de carbone moins chères quelle que soit la qualité environnementale et sociale des projets, n’a pas incité les investisseurs à modifier leurs pratiques d’investissement. La rentabilité financière classique a dominé, les financements s’orientant vers les technologies (grands barrages, grandes industries) et les pays où les risques liés aux défaillances des investissements sont faibles, où la rentabilité est forte et où le potentiel de réduction de CO2 est immense. Ainsi, 95 % des crédits carbone ont été émis depuis la Chine, l’Inde le Brésil et la Corée du Sud.

Risoe UNEP, Author provided

À l’heure de la signature officielle de l’accord de Paris, une leçon essentielle à retenir concerne la nécessité d’établir des règles standardisées afin de ne pas laisser trop d’espace aux manipulations de données ouvrant la finance carbone aux comportements opportunistes et peu intègres.

Le marché a fonctionné dans la mesure où il a effectivement orienté une forte masse financière vers des milliers de projets, tout en permettant aux pays industrialisés de réaliser des économies. Le prochain mécanisme devra profiter du retour d’expérience du MDP qui bénéficie d’un processus de réformes permanent.

En combinant ces leçons du passé et l’intégration de la société civile au cœur de la gouvernance du MDP, il sera très certainement possible d’obtenir un cadre institutionnel robuste et adaptatif. Cette construction institutionnelle ne fait que commencer : une fois les grandes lignes de l’article 6 adoptées par une majorité d’États ce vendredi 22 avril 2016 à New York, les négociations entreront de plain-pied dans la conception des outils prévus fin 2015 par la COP21 pour tenter de limiter les effets des changements climatiques.

The ConversationRoman de Rafael, Doctorant en sciences économiques, LIPHA, Université Paris-Est Créteil Val de Marne (UPEC)

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.