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[The Conversation] Comment les acteurs du commerce se "réancrent" sur le territoire

Publié le 16 février 2023

Un article co-écrit par Jérôme Lacœuilhe, Professeur des Universités en marketing, directeur de l'IUT Sénart-Fontainebleau, Université Paris-Est Créteil Val de Marne (UPEC).

CommerceLocal_UPEC_Shutterstock_1522053065
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Date(s)

le 16 février 2023

Depuis la crise sanitaire, les consommateurs sont plus nombreux à s’orienter vers les commerces de proximité en privilégiant les circuits courts et les produits locaux et de terroir. Ces derniers représentent d’ailleurs la première attente des clients pour les produits de grande consommation et pourraient permettre aux grandes surfaces d’engendrer un chiffre d’affaires supplémentaire estimé à 500 millions euros.

Par ailleurs, l’expérience de consommation n’a jamais impliqué autant de points de contact avec les clients que ces dernières années. De nombreuses enseignes déploient aussi des stratégies omnicanales, alliant expériences physiques en magasin, et digitales, en ligne, du consommateur. Elles s’appuient dès lors sur la donnée client, issue, par exemple, des réseaux sociaux, pour mieux comprendre les attentes et répondre au mieux aux besoins.

Ce triptyque constitué par les produits locaux et de terroir, l’omnicanal et la connaissance client est aujourd’hui au cœur de la nouvelle forme de proximité qui se met en place. La journée de recherche en marketing « Distribution, Marques & Territoire(s) » organisée fin 2022 par le CleRMa (Clermont Recherche Management) a permis aux acteurs et aux chercheurs de détailler davantage chacun de ses leviers.


Des marques qui ont du sens

Les produits locaux et régionaux s’invitent de manière croissante dans les rayons des supermarchés et hypermarchés. Les distributeurs ont en effet bien saisi l’intérêt croissant pour une offre terroir et se doivent d’avoir un assortiment en phase avec les attentes du marché. En effet, les marques régionales de terroir sont porteuses de sens et mettent en valeur la culture et la solidarité régionale.

Les enseignes référencent à la fois des marques de fabricants et leurs propres marques de distributeurs (des « MDD » comme Reflets de France, nos Régions ont du Talent, etc.) qui regroupent plusieurs spécialités régionales répondant à un cahier des charges relativement strict. Ces MDD de terroir doivent communiquer sur le triptyque suivant : un lien fort avec l’origine ou le lieu témoignant d’un ancrage physique, une forte relation avec l’histoire du produit, des connexions avec les acteurs locaux en termes de savoir-faire collectifs spécifiques partagés (proximités identitaire et cognitive).

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Au-delà des conditions nécessaires à la bonne perception de ces produits de terroir, leur implantation encore trop modérée (3 %) doit également passer par un accroissement de la décentralisation du référencement des biens produits en région. C’est notamment ce qu’a fait Auchan, comme nous l’a indiqué Franck Barbry, responsable des produits locaux de l’enseigne, qui ouvre par ailleurs son espace de vente à des producteurs locaux dans un certain nombre de catégories de produits, par exemple le saint-nectaire en Auvergne.

Une proximité en ligne et en magasin

Si les blogs, les sites Internet, les réseaux sociaux ou les applications appartiennent au domaine du virtuel, ils permettent néanmoins de renforcer aussi le sentiment de proximité. Le numérique est en effet riche de « lieux » d’ancrage territorial pour faire connaître les acteurs locaux, mettre en avant leurs savoir-faire et les valoriser. La richesse de l’information et les territoires d’expression de ces points de contact permettent à l’enseigne de s’enraciner.

Par exemple, la marque Auvergne, qui fédère plus de 500 adhérents œuvrant à l’attractivité de ce territoire, a lancé une marketplace « Achetez en Auvergne » qui propose déjà 4 500 produits de 170 producteurs, artisans et commerçants.

Ce volet numérique ne constitue qu’une partie d’une stratégie dite « omnicanale » qui consiste à multiplier les points d’interaction, y compris physique, avec le client. Loin d’une virtualisation désincarnée, le fait de posséder un ou plusieurs espaces physiques sous forme de magasin, par exemple, permet en effet de matérialiser, d’incarner, de faciliter la rencontre physique. L’échange avec l’acteur local, le producteur local prend alors une tout autre dimension.

La dimension physique d’une stratégie omnicanale permet donc de rendre vrai, de rematérialiser… En cette période post-pandémie où les individus recherchent cette matérialité, la possibilité d’offrir de belles rencontres entre personnes appartenant à un même territoire constitue une forme d’ancrage territorial. C’est ce que s’attache à faire la fromagerie Dischamps en ouvrant une boutique spécifique à Saint-Flour (Cantal) avec un atelier entièrement neuf pour fabriquer et affiner du Cantal AOP en parallèle de la distribution de ses produits référencés dans certaines enseignes.

Des évènements dans l’espace physique pourront ensuite se poursuivre sur les réseaux sociaux. Des conversations entre habitants d’un même quartier sur des questions de leur quotidien peuvent par exemple constituer un autre moyen pour la marque d’être au cœur du territoire.

L’apport de la data

La multitude de points de contact permet donc aux consommateurs de prolonger l’expérience de la marque au-delà de l’acte d’achat. Ceci a été notamment facilité par les médias sociaux, points de rencontre et d’expression des clients en ligne aussi bien sur les aspects positifs que négatifs.

En utilisant les technologies de traitement automatique du langage naturel (NLP) et d’analyse de données, les distributeurs peuvent obtenir une vision plus complète de leur marché et de leurs clients. Traditionnellement, les enseignes utilisaient des données structurées, comme celles recueillies par les programmes de fidélité, pour prendre des décisions. Ces données sont utiles, mais elles ne suffisent plus. Les distributeurs doivent désormais également intégrer les nombreuses données non structurées produites par leurs clients, telles que des textes, des images et des vidéos.

Les consommateurs en produisent en abondance sur les réseaux sociaux, comme Twitter, ou sur les stores d’applications, tels que Google et Apple. Les distributeurs doivent être en mesure de traiter ces données pour en extraire des informations utiles.

L’application développée par Carrefour constitue un bon exemple de cette stratégie. Il s’agit d’un point de contact important pour les clients. Ils peuvent y intégrer leur carte de fidélité, faire leur liste de courses, commander en ligne avec livraison à domicile ou récupération en drive. Les avis laissés par les utilisateurs de l’application sur les stores d’applications sont une source importante de données non structurées.

En utilisant la technologie NLP, les distributeurs peuvent traiter ces avis et en extraire des informations sur les préoccupations des clients. Ces informations peuvent être synthétisées en quelques thématiques, pour ensuite être quantifiées et intégrées dans des tableaux de bord avec les données habituelles. Cela permet aux enseignes d’avoir une vision plus juste de leur marché et de prendre des décisions managériales plus éclairées.

Forcé à se réinventer, le commerce joue donc aujourd’hui de plusieurs « cordes à son arc », entre le développement de produits locaux et de terroir, la création de nouvelles formes de proximité en « phygitalisant » les parcours client et en améliorant leur connaissance client grâce à cette nouvelle data.The Conversation

Emna Cherif, Maître de conférences en Sciences de gestion et marketing, Université Clermont Auvergne (UCA); Cédrine Zumbo-Lebrument, Enseignante-chercheuse en marketing, Groupe ESC Clermont; Christine Lambey-Checchin, Maître de Conférences, Axe Stratégie, Territoire et Réseaux d'acteurs (STeRA), IAE Clermont Auvergne - School of Management, Université Clermont Auvergne (UCA); Jérôme Lacœuilhe, Professeur des Universités en marketing, directeur de l'IUT Sénart-Fontainebleau, Université Paris-Est Créteil Val de Marne (UPEC); Julien Cloarec, Assistant Professor of Data Science, iaelyon School of Management – Université Jean Moulin Lyon 3 et Régine Vanheems, Professeur des Universités en Sciences de Gestion, iaelyon School of Management – Université Jean Moulin Lyon 3

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.