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Phobie : « J’ai peur de conduire »

Publié le 3 janvier 2018

Article d'Antoine Pelissolo, Professeur de psychiatrie à l'UPEC, publié sur The Conversation France

View from the car interior during heavy rain - ezra-jeffrey-149574
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le 3 janvier 2018

Photo : On peut être stressé au volant en raison d'une anxiété plus générale, du souvenir d'un accident ou bien de la crainte de commettre une faute sur la route. ezra jeffrey/unsplash


« Je n’ai rien contre les psys, et pour cause ! » écrit notre auteur, professeur de psychiatrie, en préambule de son livre Vous êtes votre meilleur psy ! (éditions Flammarion). Il a rassemblé dans cet ouvrage des principes dont l’efficacité est scientifiquement reconnue et que l’on peut appliquer par soi-même pour surmonter certaines difficultés. L’extrait que nous publions ci-dessous porte sur le stress au volant.

On trouve des noms exotiques et improbables pour toutes les phobies. L’amaxophobie est de ceux-là, et désigne une crainte bien plus fréquente que ce que l’on imagine : la peur de conduire un véhicule.

Difficile de connaître son étendue car il n’y a pas d’enquête rigoureuse sur la question. Beaucoup de personnes n’en parlent pas, par gêne ou même par honte. Plusieurs cas de figure sont possibles. On trouve des personnes qui ont passé le permis avec difficulté et n’ont jamais conduit régulièrement ou en se limitant à de très courts trajets ; des conducteurs aguerris qui, parfois sans raison évidente, commencent à avoir peur de conduire assez soudainement à un moment donné ; des personnes âgées qui redoutent progressivement la conduite automobile.

Le handicap peut être léger ; on parvient malgré tout à prendre la route dans la vie de tous les jours. Parfois, il est nettement plus lourd : la conduite est totalement impossible. Dans tous les cas, des solutions existent pour surmonter cette crainte.

Une crainte moins absurde que d’autres

Si certaines phobies paraissent absolument irraisonnées et incompréhensibles, comme celles des papillons ou des poupées, la peur de conduire ne repose pas sur rien : c’est une activité à risque, qui nécessite un savoir-faire et une attention soutenue. Chaque année, le nombre d’accidents de la route est là pour nous le rappeler.

La peur de conduire est donc compréhensible, mais elle devient moins rationnelle et plus problématique quand elle empêche de se déplacer alors que l’on dispose des compétences normales pour le faire. L’apprentissage, l’expérience et des précautions adaptées à la situation doivent permettre de maîtriser les risques.

Plusieurs types de causes existent.

  1. Un manque de confiance en soi et une anxiété importante qui font redouter le pire.

  2. Le souvenir traumatisant d’un accident qu’on a soi-même vécu, ou auquel on a assisté, qui crée l’équivalent d’une phobie post-traumatique.

  3. Une peur proche de l’agoraphobie, c’est-à-dire l’anticipation d’un malaise au volant, ou d’un incident aggravé du fait de la situation de « blocage » dans le véhicule, notamment dans un embouteillage, un tunnel, un pont, une autoroute, etc.

  4. Des craintes proches des troubles obsessionnels-compulsifs : peur de commettre une faute et de provoquer un accident grave sans s’en apercevoir, ou peur d’avoir une impulsion dangereuse pour soi ou pour les autres (phobies d’impulsion).

En général, l’un ou l’autre de ces motifs d’anxiété est au premier plan, parfois plusieurs sont associés. Une personne anxieuse et peu sûre d’elle au volant sera nettement plus déstabilisée par un accident vécu, même peu grave, qu’un conducteur jusque-là très confiant.

Le stress de la conduite se traduit généralement par des accès d’affolement voire de panique. Le déclencheur ? Des incidents assez mineurs, comme un problème au redémarrage après un stop ou un feu rouge (la voiture qui cale), une hésitation entre deux routes à un carrefour, ou une voiture un peu pressante derrière vous. Ces pics de stress peuvent compliquer la conduite en absorbant l’attention disponible et en perturbant un peu les gestes, même si les réflexes essentiels sont le plus souvent conservés. Un cercle vicieux s’installe, l’anxiété et ses conséquences devenant en elles-mêmes un motif d’inquiétude supplémentaire : « Je vais perdre mes moyens, donc c’est dangereux ».

La spirale de l’évitement

Le renforcement de la peur par les évitements est un mécanisme constant, et souvent l’élément principal du problème. Ne pas se confronter à une situation redoutée accentue le réflexe de peur. Pour la conduite automobile, qui est un savoir-faire complexe, ce mécanisme très basique est aggravé par une perte de confiance en soi (« Je n’ai plus l’habitude de conduire »), voire parfois par une perte réelle de capacités. Après dix ou vingt ans sans avoir pris le volant régulièrement, les compétences peuvent en effet être émoussées.

Ainsi, si vous n’avez pas conduit pendant des années, ou si vous vous êtes restreint à certains parcours, il faudra travailler à la fois sur la peur de conduire et sur la conduite elle-même. Le mieux pour cela est de vous faire aider, par un proche de confiance ou même par un professionnel en auto-école, avec quelques cours de conduite le moment venu.

Conduire une voiture nécessite d’effectuer beaucoup de choses à la fois : les actions de pilotage de base, faire très attention à ce qui se passe à l’extérieur pour pouvoir réagir à tous les obstacles et aux autres véhicules, surveiller le compteur de vitesse, se souvenir du trajet et décider des directions à prendre, etc. La conduite nécessite donc une vigilance presque totale en permanence : impossible de consacrer, en plus, de l’énergie et du temps à gérer votre anxiété. C’est pourquoi beaucoup de choses doivent être apprises et préparées avant de prendre le volant, afin qu’elles deviennent mécaniques et applicables facilement le moment venu.

Photo : La conduite nécessite d’effectuer beaucoup de choses à la fois, piloter, faire attention à ce qui se passe à l’extérieur, surveiller le compteur de vitesse… pan xiaozhen/unsplash

La préparation à la reprise du volant comporte deux ingrédients importants : le contrôle du stress physique d’une part, et la lutte contre les scénarios catastrophes qui peuvent vous parasiter d’autre part.

Les gênes physiques auxquelles il faut s’habituer

Les symptômes physiques, classiques dans tous les types d’anxiété, n’ont rien de dangereux en eux-mêmes, et la meilleure stratégie est théoriquement de les accepter pour les ignorer. Mais en voiture, certains de ces symptômes sont plus gênants, devenant une source d’anxiété supplémentaire pour le conducteur (« Je fais un malaise, je ne vais plus pouvoir conduire », etc.), et pouvant même réellement perturber le maniement du véhicule. Une tension musculaire importante ou des tremblements peuvent ainsi avoir un effet délétère sur la coordination des gestes, et modifier la conduite, le plus souvent modérément. Et il n’est bien sûr pas possible de maîtriser ces symptômes dans le feu de l’action, par exemple en fermant les yeux pour évacuer la tension, comme on le ferait dans un autre contexte…

Une partie de votre préparation doit porter sur ces signes physiques, pour vous y habituer et essayer de les contrôler en partie. Pour ceci, il faut d’abord bien les identifier, dans une situation proche de la réalité concrète.

Si vous arrivez à conduire un peu, l’idéal est d’observer « en vrai » ce que vous ressentez au volant. En général, les symptômes physiques touchent les muscles des bras ou des jambes (crispations, tremblements, maladresse), le cœur (palpitations), la respiration (sensation d’étouffement), ou l’équilibre (sensations de vertige). Si vous ne parvenez pas encore à conduire réellement, vous pouvez vous mettre en situation simulée, chez vous ou dans une voiture à l’arrêt (ou en étant passager avec un autre conducteur), et identifier alors les sensations qui peuvent apparaître et qui vous dérangeraient le plus.

Après avoir repéré ces symptômes sensibles, il va falloir les apprivoiser. Il s’agit d’abord de bien vous convaincre de leur origine : ils sont liés au stress et à rien d’autre, notamment pas une maladie physique en train de vous assaillir. Vous pouvez observer leur évolution, en visualisant bien qu’ils sont arrivés en même temps que le stress, et qu’ils disparaissent rapidement quand vous êtes plus détendus. Par ailleurs, essayez de jouer avec ces symptômes en les provoquant de différentes manières : par exemple en courant pour ressentir des palpitations et un essoufflement, en tournant rapidement sur vous-même pour déclencher des vertiges, en crispant les muscles pour ressentir une tension ressemblant à celle du stress, etc.

L’essentiel est de vous habituer à ces désagréments physiques passagers, pour ne pas être affolé quand vous les ressentirez en conduisant. Essayez donc de les provoquer le plus souvent possible dans la vie quotidienne. Quand ils surviennent, contentez-vous de les observer un peu comme un objet extérieur à vous : tâchez de les localiser précisément, de définir une frontière avec le reste de votre corps, de les faire grossir ou au contraire se réduire. Ce jeu vous rassurera sur leur caractère bénin, et vous permettra de vous y habituer.

Des moyens simples pour déstresser au volant

Il vous faut également acquérir des moyens simples pour déstresser au volant. Le principal levier est le contrôle respiratoire, qui permet de lutter contre toutes les tensions musculaires et l’emballement du cœur et du souffle. Assis en voiture, vous pourrez toujours respirer calmement, et profiter d’un feu rouge pour vous concentrer quelques secondes sur votre rythme respiratoire. Entraînez-vous pendant quelques minutes, sur un fauteuil chez vous puis en voiture, même à l’arrêt, à suivre ce schéma : inspirez doucement par le nez, faites une pause de quelques secondes, expirez également doucement par le nez, puis faites une nouvelle pause. Tout ceci plutôt rythmé par les muscles de l’abdomen (le ventre) que par le thorax, et sans aller trop loin dans le gonflement des poumons.

Cette manière de vous concentrer sur votre respiration deviendra naturelle si vous vous entraînez régulièrement et produira automatiquement une sensation de bien-être. Avec l’habitude, vous pourrez même continuer à l’utiliser en restant concentré sur la conduite de la voiture, par exemple sur l’autoroute.

La gêne principale en conduisant peut être une tension musculaire importante dans les bras. Même si vous vous êtes habitué à cette sensation grâce aux exercices précédents, il est utile de disposer d’une technique de « détente express » si cette gêne est trop forte à un moment donné. Pour cela, la méthode classique de relaxation musculaire, basée sur le contraste entre tension et relâchement, est la plus intéressante.

Photo : Conduire d’une main pendant un temps permet de diminuer la tension musculaire dans l’autre. mark jefferson paraan/unsplash

Elle s’apprend d’abord sur une partie du corps, par exemple le bras gauche qui est moins actif que le droit pendant la conduite. Contractez assez fort les muscles du bras et de l’avant-bras, en vous concentrant quelques secondes sur les sensations produites, qui peuvent aller jusqu’à des tremblements et de la tétanie. Puis, relâchez lentement cette contraction, en quelques secondes également, en vous concentrant aussi sur ce que vous ressentez dans votre bras. Grâce à ce contraste entre les deux états successifs et opposés, vous pouvez reprendre le contrôle sur la motricité de votre bras, et atténuer les sensations de tension involontaires engendrées par le stress. Après avoir fait environ 10 fois l’exercice sur le bras gauche, refaites la même chose sur le bras droit, toujours de préférence à l’arrêt ou en conduite simulée chez vous. Vous pourrez ensuite refaire des séries de contraction/décontraction des deux bras simultanément.

Au volant, en fonction de la vitesse et des autres actions à réaliser (chercher sa route, surveiller le flot de voitures, déclencher certaines fonctions comme les essuie-glaces ou les phares, etc.), vous pourrez vous consacrer plus ou moins facilement à cette détente musculaire. Il est possible de contracter le bras et la main avec le poing fermé, donc en lâchant transitoirement le volant, ou le faire en gardant la main sur le volant, avec une contraction des doigts sur celui-ci.

En route !

Maintenant que vous connaissez les outils anti-paniques, vous pouvez reprendre la route dans de bonnes conditions. Mais je vous conseille de le faire par étapes et en prenant le temps nécessaire. Si vous n’avez pas conduit depuis très longtemps, il est préférable de commencer par quelques cours d’auto-école. Et dans tous les cas, vous allez pouvoir vous tester à petite vitesse, sur des trajets courts, avec la possibilité de vous arrêter facilement. Une autre solution est de le faire avec une personne de confiance, qui pourra par exemple vous accompagner d’abord en conduisant votre voiture jusqu’à des routes vous convenant mieux.

Assez rapidement, vous allez pouvoir combattre certaines idées automatiques injustifiées qui risquent de vous assaillir chaque fois que vous dépasserez les 30 km/heures : « Je vais perdre le contrôle », « C’est dangereux, je ne sais pas conduire », « Je ne peux pas dépasser une autre voiture », etc. Ces pensées sont injustifiées si vous avez appris à conduire et si vous restez vigilant à ce qui se passe autour de vous.

En dehors de situations un peu extrêmes comme la neige, le verglas ou des routes de montagne très tortueuses, l’aménagement des routes en France permet de rouler en toute sécurité quand on respecte les consignes, quelle que soit la vitesse ou le type de route. Vous ne serez pas plus en danger sur l’autoroute qu’en ville par exemple, même si la vitesse semble plus effrayante à la plupart des anxieux de la route.

Vision grand angle

Pour réduire votre niveau de stress, pensez à utiliser les méthodes décrites plus haut, notamment la respiration calme et la détente musculaire. La question du regard et de l’attention visuelle est également importante. En effet, l’anxiété entraîne une réduction du champ de vision, dans le but de détecter des dangers, de petites tailles ou cachés, autour de soi. En voiture, comme il faut surveiller un champ très large, cette vision focalisée est très fatigante et assez peu efficace : on passe son temps à changer de cibles en permanence (les trois rétroviseurs, le compteur de vitesse, le levier de vitesse, la route à droite, la voiture à gauche, la route devant, etc.). La fatigue oculaire et attentionnelle peut se doubler de sensations vertigineuses à force de faire ces va-et-vient peu productifs.

Il faut donc se forcer à adopter une vision « grand angle » ou panoramique, qui permet d’être attentif à la plupart des éléments de la route, sans grande précision mais cela n’est pas nécessaire en continu. Si quelque chose d’anormal attire notre attention, on peut alors vérifier spécifiquement de quoi il s’agit, mais sans balayer systématiquement tous les points de l’environnement. Le principe est donc de regarder la route assez loin devant soi (et non pas juste les premiers mètres devant la voiture, car ceci crée aussi des sensations hypnotiques gênantes), avec une vision légèrement floue mais large. De temps à autre, un coup d’œil aux rétroviseurs et aux compteurs permet de vérifier que tout se passe bien.

Un entraînement programmé

Photo : S’exposer à la conduite en variant les contextes, ville, campagne… steve halama/unsplash

La peur devrait s’atténuer progressivement avec l’expérience, et surtout la pratique de routes différentes dans des contextes variés : ville, routes nationales, campagne, jour et nuit, etc. Cela peut prendre quelques semaines, mais l’essentiel est de garder une certaine régularité durant cette période d’exposition à la conduite, pour ne pas perdre le bénéfice des exercices précédents. Si vous savez que certaines situations sont particulièrement angoissantes pour vous, essayez de les affronter par étapes, en commençant par des conditions facilitantes mais en augmentant le niveau de difficulté jusqu’au bout. Par exemple, si vous redoutez surtout la conduite sur autoroute, entraînez-vous d’abord sur des routes nationales à assez grande vitesse, puis sur quelques kilomètres d’autoroute, puis sur une distance plus longue, en faisant varier également la vitesse et la capacité à doubler d’autres véhicules.

Si vous redoutez plutôt les routes en hauteur, comme les ponts ou les voies en bretelles, habituez-vous d’abord au vide à pied sur un pont, puis empruntez des routes à des hauteurs croissantes. Cela toujours pour ne pas générer d’angoisses trop fortes mais pour vous habituer progressivement à supporter l’anxiété ressentie. Ceci peut prendre du temps et beaucoup d’exercice, mais vous allez forcément ressentir une détente et une meilleure confiance en vous avec l’expérience. Le principe de la confrontation progressive est le même pour la peur des tunnels ou d’autres routes « à risque » comme les rues très fréquentées en ville.

Couverture du livre, paru le 1ᵉʳ novembre 2017. Flammarion, Author provided

The ConversationSi, malgré vos efforts et votre volonté, vous ne parvenez pas seul à surmonter votre peur de conduire, une évaluation et une aide par un thérapeute, médecin ou psychologue, peut être utile. Cela est souvent nécessaire pour les personnes qui ont vécu ou ont été confrontées à des accidents de la route très graves, et qui en conservent un véritable syndrome de stress post-traumatique. De même, des troubles obsessionnels-compulsifs sévères peuvent rendre les choses nettement plus complexes et nécessiter une prise en charge spécialisée. Les thérapies comportementales et cognitives sont aussi efficaces pour ces troubles, et les spécialistes peuvent aussi utiliser des supports facilitants comme des simulateurs de conduite.

Antoine Pelissolo, Professeur de psychiatrie, Inserm, Université Paris-Est Créteil Val de Marne (UPEC)

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.