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Comment cherche-t-on des traces de vie sur Mars ?

Publié le 12 juin 2020

Article de Fabien Stalport, Enseignant-Chercheur au Laboratoire Interuniversitaire des Systèmes Atmosphériques de l'UPEC et de Naila Chaouche, Doctorante au Laboratoire Interuniversitaire des Systèmes Atmosphériques de l'UPEC, publié sur The Conversation France.

Photo Mars The Conversation
Photo Mars The Conversation
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le 1 juin 2020

Photo : Le cratère Jezero, dans lequel on voit les restes de canaux et delta creusés par l’eau qui a été présente sur Mars. L’image contient les données de deux instruments de la mission Mars Reconnaissance Orbiter, de la NASA : la caméra de contexte et le spectromètre d’imagerie. NASA/JPL/JHUAPL/MSSS/Brown University


La vie est-elle jamais apparue sur Mars ? Nous savons que de l’eau liquide pérenne, indispensable à la vie terrestre, a été présente à la surface de Mars avant que la planète rouge ne devienne un désert froid et aride. Mais cette eau liquide n’est plus là. Alors, concrètement, que cherchent les exobiologistes ? Quels indices pourraient confirmer, ou non, que la vie est apparue sur Mars à un moment de son histoire ?

Faisons le point sur la stratégie actuelle de recherche d’indices de vie sur Mars et sur la mission Exomars.

Vivant ou pas ? Des « bioindices » aux « biosignatures »

À ce jour, le seul exemple de vie que nous connaissons est la vie terrestre – nous nous basons sur les caractéristiques intrinsèques de la vie terrestre pour tenter de reconnaître la vie « ailleurs ». Mais la vie qui est apparue sur Terre il y a plus de 3,5 milliards d’années était peut-être différente des formes de vie terrestre dont nous avons connaissance aujourd’hui, fossiles et formes de vie actuelles. De plus, des formes de vies éloignées de celles existantes sur la Terre pourraient émerger dans un environnement différent, sur Mars par exemple. Il faut garder en tête que dans l’identification de traces de vie extra-terrestre, nous manquons « forcément » de connaissances sur ce que nous sommes supposés chercher et cela complique le travail.

Mais si nous nous basons sur la recherche de formes de vie proche de la nôtre, nous essayons de détecter ce que l’on appelle des « bioindices » ou « biosignatures ». Un bioindice est considéré comme un traceur de vie potentielle dont la présence pourrait également être expliquée par un processus non biologique. Un exemple classique concerne des molécules organiques tels que les acides aminés : on les trouve à la fois dans tous les organismes vivants, mais ils ont aussi été détectés dans des météorites dont l’origine non-biologique est certaine. Par conséquent, la détection de telles molécules dans un environnement extra-terrestre pourrait indiquer une présence d’activité biologique mais n’est pas suffisante pour la confirmer de manière non ambiguë.

Une biosignature est produite uniquement par le vivant. Il s’agira par exemple d’un biominéral tel que des os ou des coquilles (qui peuvent être retrouvés sous la forme de fossiles) ou d’un composé macromoléculaire caractéristique de la vie tel que l’ADN.

Image : Représentation schématique des deux configurations (droite et gauche) d’un même acide aminé. Wikipedia, CC BY


Un autre exemple de biosignature typique du vivant terrestre est ce que l’on appelle : l’homochiralité. Certaines molécules, comme les acides aminés, discutés précédemment, présentent deux configurations spatiales différentes miroirs l’une de l’autre. Ces deux molécules sont chimiquement identiques mais ne se superposent pas. En se développant, la vie a sélectionné une seule des deux formes pour les acides aminés, la forme gauche, et ne possède donc que des acides aminés homochiraux. Par conséquent, la détection d’acides aminés dans un environnement extra-terrestre passerait du statut de « bioindices » à un statut « biosignatures » si ceux-ci étaient à 100 % ou en très large excès pour la forme droite ou gauche.

Chasseurs de traces de vie sur Mars

Aujourd’hui, la recherche d’indices de vie extraterrestre s’articule autour de la détection de matière organique d’origine potentiellement biologique, des molécules essentiellement composées d’atomes de carbone, hydrogène, azote, oxygène, phosphore et soufre, abreviés « CHNOPS ».

Le véhicule motorisé (rover, en anglais) Curiosity de la mission américaine Mars Science Laboratory explore Mars depuis 2012 à la recherche de ces fameuses molécules organiques. A ce jour, très peu de composés organiques ont été détectés à la surface de Mars par les instruments de Curiosity : du méthane, des composés chlorés et soufrés, et plus récemment des hydrocarbures à longues chaînes (dont les données ne sont pas encore publiées). Bien que ces composés soient des molécules organiques de l’environnement martien, leur origine reste encore indéterminée. En effet, il existe d’autres sources de matière organique sur la planète que le vivant, par exemple les comètes, météorites ou micrométéorites.

Il n’est également pas à exclure que des sources de matière organique non-biologique mais propres à Mars aient pu aussi exister, par exemple la synthèse de molécules par hydrothermalisme, c’est-à-dire la synthèse abiotique de matière organique lors de la circulation souterraine d’eau chauffée par une source de chaleur en zone volcanique ; ou encore la synthèse de molécules dans l’atmosphère martienne par photochimie, c’est-à-dire via des réactions chimiques initiées par l’absorption de photons en provenance du Soleil par les molécules atmosphériques.

Toutes les molécules organiques de ces sources (potentielles ou avérées) peuvent également avoir évolués chimiquement et même se dégrader à cause de l’environnement oxydant de la surface de Mars, ce qui complique l’interprétation des données. Pour pouvoir comprendre le signal produit par des composés d’intérêts exobiologique, il est primordial de réaliser des expériences de laboratoire en accompagnement des missions spatiales.

La future mission Exomars et ses instruments

La future mission martienne européenne et russe Exomars, dont le lancement est prévu en 2022, aura pour objectif de rechercher des traces de vie sur et sous la surface de Mars, jusqu’à 2 m de profondeur – ce qui pourrait donner accès à des échantillons peu dégradés au cours des temps géologiques et ayant préservé des signatures biologiques potentielles.

Photo : Modèle du rover Rosalind Franklin au centre de contrôle ALTEC à Turin, en Italie. ALTEC


Elle sera équipée de plusieurs instruments dont un dédié à l’analyse de la plus grande diversité possible de molécules organiques. « Mars Organic Molecules Analyzer » (MOMA pour les intimes) est un appareil sophistiqué et surtout miniaturisé : un échantillon, prélevé à la surface ou sous-surface de Mars, est analysé grâce à un laser « de désorption » qui vient exciter et volatiliser les molécules de l’échantillon. Ces molécules sont identifiées grâce à un instrument appelé « spectromètre de masse », qui compare leurs structures chimiques à une base de données. L’avantage principal est que les analyses peuvent être rapides, et donc nombreuses. En revanche, seules les molécules en surface de l’échantillon sont analysées et il est difficile de différencier toutes les molécules arrivant en même temps sur le détecteur.

La chromatographie en phase gazeuse, plus longue, complète l’analyse au laser : l’échantillon complet est chauffé à haute température, libérant toutes les molécules volatiles dont, on l’espère, les fameuses molécules organiques martiennes potentiellement d’origine biologique. Ce cocktail de molécules est alors séparé par chromatographie et les molécules sont analysées et identifiées une à une par le spectromètre de masse.

Pour finir, les échantillons martiens pourront également être « transformés » chimiquement avant le chauffage à haute température de manière à séparer les deux formes chirales d’une même molécule par chromatographie. Si l’une des deux formes chirales présente un large excès par rapport à l’autre, voire s'il y avait homochiralité, ce serait une biosignature de vie martienne.

Si la vie est détectée ailleurs que sur Terre, en particulier sur une planète aussi proche que Mars, nos visions si uniques de la vie terrestre et de l’organisation de nos sociétés seraient bouleversées.


La Région Ile-de-France finance des projets de recherche relevant de Domaines d’intérêt majeur et s’engage à travers le dispositif Paris Région Phd pour le développement du doctorat et de la formation par la recherche en cofinançant 100 contrats doctoraux d’ici 2022. Pour en savoir plus, visitez iledefrance.fr/education-recherche.The Conversation

Fabien Stalport, Enseignant-Chercheur (Maître de conférences), au Laboratoire Interuniversitaire des Systèmes Atmosphériques, labellisé Domaine d’Intérêt Majeur par la Région Île-de-France, Université Paris-Est Créteil Val de Marne (UPEC) et Naila Chaouche, Doctorante, au Laboratoire Interuniversitaire des Systèmes Atmosphériques, labellisé Domaine d’Intérêt Majeur par la Région Île-de-France, Université Paris-Est Créteil Val de Marne (UPEC)

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.