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Les boîtiers de vote : outil antidécrochage à la fac ?

Publié le 28 octobre 2016

Article de Christophe Morin, Maitre de conférences en Biochimie à l'UPEC et Nicolas Dubois, Professeur agrégé de biochimie génie biologique, à l'UPEC, publié sur The Conversation France

Date(s)

le 28 octobre 2016

La transformation numérique et pédagogique est un enjeu majeur pour l’enseignement. C’est notamment dans cette optique que le ministère de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche (MENESR) vient de confier à François Taddei, directeur du Centre de Recherche Interdisciplinaire (CRI), une mission sur la recherche et l’innovation pédagogique.

Il est de fait indéniable que les nouveaux programmes du collège et du lycée et l’utilisation accrue des outils numériques ont un fort impact sur les approches pédagogiques des enseignants des premiers cycles (primaire/collège/lycée). Les bacheliers ainsi formés sont différents de ceux d’il y a 10 ans, de par leurs connaissances, leurs compétences, et toutes les sollicitations dont ils font l’objet à longueur de journée à cause des nouvelles technologies.

Jusqu’à récemment, l’université s’est peu préoccupée de ces transformations pédagogiques, qu’elle ne peut plus ignorer désormais. L’adaptation de la pédagogie universitaire a, de plus, tout intérêt à s’appuyer sur les technologies numériques pour améliorer la réussite des étudiants, notamment en première année, là où les taux de décrochage sont les plus importants.

Dans ce cadre, la faculté des sciences et technologie de l’université Paris-Est Créteil, avec le soutien du projet IDEA de l’UPE, a choisi de développer l’utilisation de boîtiers de vote depuis la rentrée universitaire 2015.

Cet outil se présente sous la forme de boîtiers de vote distribués aux étudiants, reliés à distance par une clé-récepteur à un ordinateur équipé d’un logiciel qui enregistre les réponses de chaque boîtier.

Ce projet a deux objectifs principaux :

  • Dynamiser les cours en amphi et maintenir l’attention des étudiants tout au long de la séance (en faisant appel à de l’évaluation formative).

  • Évaluer régulièrement les connaissances acquises par l’étudiant (évaluation sommative) tout en dégageant du temps pour l’accompagnement par l’enseignant.

Dans l’enseignement que nous assurons, les deux types d’utilisation de cet outil numérique ont été mis en place. En amphi, des questions avec boîtier ont été utilisées pour vérifier les connaissances préalables des étudiants ou encore s’assurer qu’un point de cours tout juste traité a été compris de manière satisfaisante. Une fois que les étudiants ont répondu à une question, l’enseignant peut, grâce au logiciel de gestion des réponses, afficher les pourcentages de bonnes et de mauvaises réponses. Selon les objectifs de la séance, il peut afficher en même temps la réponse, ou engager d’abord la discussion afin que les étudiants parviennent d’eux-mêmes à la réponse attendue. En séance de Travaux Dirigés (TD), les boîtiers ont notamment permis d’effectuer plusieurs contrôles continus.

Après l’utilisation de ces boîtiers de vote au cours du second semestre de l’année passée dans quelques Unités d’Enseignement (UE) de différentes filières (biologie, chimie, sciences pour l’ingénieur) impliquant 15 enseignants de première année et plus de 500 étudiants, un premier bilan peut être effectué.

Les étudiants plébiscitent à 90 % le dispositif en amphi

En cours en amphithéâtre, avec des effectifs de plus de 100 étudiants, l’utilisation de tels outils ne s’improvise pas. Si l’enseignant souhaite dépasser la simple question à choix multiple (QCM) permettant d’évaluer les connaissances de l’étudiant, avec par exemple un accompagnement par des pairs plus expérimentés, un ingénieur pédagogique est nécessaire pour une mise en œuvre rapide et efficace.

Plus concrètement, il nous est apparu clairement lors de ces séances que l’intérêt pédagogique est bien plus grand si les boîtiers de votes sont utilisés à des fréquences correspondantes à celles de la baisse des pics d’attentions d’un étudiant moyen (toutes les 10 à 15 minutes). Il est également intéressant, si l’on accepte les discussions en amphi, de ne donner qu’un boîtier pour deux ou trois étudiants afin de leur permettre de confronter leurs connaissances et leurs points de vue avant de donner une réponse commune.

Ces observations ont été confirmées par les étudiants eux-mêmes, qui plébiscitent à plus de 90 % l’utilisation de ce dispositif pour faciliter l’apprentissage au travers des interactions que cela créé, aussi bien avec leurs camarades qu’avec l’enseignant. Nous nous devons de souligner ici l’importance du rôle de l’enseignant qui va pouvoir se saisir tout de suite du résultat des votes et procéder à une remédiation « immédiate ». Plus la peine d’attendre le premier contrôle continu pour corriger une notion mal comprise !

La dynamique mise en place favorise ainsi l’attention pendant le cours, et une grande majorité d’étudiants y trouvent un vrai bénéfice par rapport à un cours classique. Dans ce cadre, l’utilisation de ces technologies numériques permet d’augmenter fortement les interactions, et les étudiants présents en cours sont moins soumis au « décrochage ».

Retours plus mitigés en TD

En travaux dirigés, l’utilisation des boîtiers de vote peut aller de l’évaluation formative en début ou en fin de séance pour permettre à l’étudiant d’identifier les notions qu’il maîtrise ou non, à une évaluation sommative dans le cadre du contrôle continu par exemple.

Si l’emploi dans une optique d’évaluation formative est bien perçu comme un plus, leur utilisation dans le cadre de contrôles continus semble être un facteur de stress pour certains étudiants. Peur du problème technique, d’appuyer sur la mauvaise touche… un vestige de l’épreuve du Code de la route pour certains ?

Ils ne sont que 43,1 % à penser que les boîtiers de vote ont permis d’effectuer les contrôles continus (de type QCM) de manière plus aisée que classiquement sur une feuille papier. Malgré ce retour mitigé, nous n’avons pas constaté de dégradation des résultats par rapport aux années précédentes ou les mêmes questions étaient posées sans boîtier. L’aspect psychologique de l’utilisation de cet outil électronique pour une évaluation sommative, rappelant celui utilisé pour l’obtention du Code de la route, est sans conteste à prendre en compte pour accompagner l’étudiant lors des premières prises en main dans le contexte d’un examen.

Cela n’empêche pas les étudiants de penser que ces boîtiers de votes sont de bons outils pour une pédagogie interactive (93,1 %), permettant d’éviter le décrochage (68 %). Gage de leur intérêt, 87 % des étudiants souhaitent utiliser ces boîtiers de votes lors des enseignements qu’ils suivront ultérieurement.

L’équipe enseignante intéressée par l’utilisation du dispositif

Du côté de l’équipe enseignante, l’analyse des retours de ce premier semestre d’expérimentation interpelle de plus en plus de collègues. S’ils ne sont pas encore prêts à utiliser les boîtiers de vote en amphithéâtre par méconnaissance de l’outil ou la crainte de perdre du temps, ils sont tout à fait intéressés par leur utilisation en contrôle continu en groupe de TD (35 étudiants au maximum).

En effet, une fois la maîtrise du dispositif et de la manière de poser les questions acquises, ces boîtiers permettent un gain de temps considérable pour la correction. Si le paramétrage du questionnaire a été suffisamment pensé en amont, la note de l’étudiant est immédiatement disponible. L’intégration des notes de contrôle continu est améliorée, facilitant la remontée des notes vers les enseignants référents et libérant du temps pour d’autres tâches comme l’accompagnement des étudiants en difficulté, repérés plus facilement et plus rapidement.

Par ailleurs, l’analyse statistique des résultats au niveau d’un étudiant, d’un groupe de TD ou même d’une promotion dans son ensemble, sont rendus beaucoup plus aisés grâce aux logiciels disponibles avec les boîtiers de vote. En effet, il est possible en quelques clics d’accéder aux résultats d’un étudiant sur l’ensemble des questions qui lui ont été posées, ou d’un groupe d’étudiants face à une question donnée. Il est ainsi beaucoup plus simple pour l’enseignant d’adapter ses cours au fil de l’eau en se basant sur des statistiques concrètes plutôt que sur une impression subjective comme cela se fait le plus souvent. Très concrètement, une question qui a posé de gros problèmes à plus des 2/3 de la promotion lors d’un contrôle continu, sera l’objet d’une piqûre de rappel ou d’une remédiation dès le cours suivant !

Au-delà de l’obstacle psychologique et technique que constitue une première utilisation des boîtiers de vote, autant du côté de l’enseignant que du côté des étudiants, cette expérience nous a montré que l’ensemble des protagonistes sont satisfaits de cette « transformation pédagogique ». Ces premiers résultats associés à la mise en place d’un accompagnement par des enseignants « expérimentés » maîtrisant le dispositif, permet de lever les inhibitions des collègues qui hésitaient à se lancer dans l’aventure.

L’expérimentation se poursuit

À la faculté des Sciences et technologie de l’université Paris Est Créteil, l’expérimentation des boîtiers de vote se poursuit, avec l’implication de davantage de collègues en licence et en master pour une deuxième année d’utilisation. Cette année, en effet, environ 30 ECTS pourraient être délivrés en utilisant cet outil pédagogique pour une partie de l’évaluation. Cela signifie qu’il y aura bientôt de nouveaux résultats à analyser, qui nous permettront d’affiner encore l’utilisation de ce dispositif transformant la pédagogie pour – nous l’espérons – améliorer la réussite des étudiants à la Faculté des sciences et dans d’autres composantes de l’UPEC.

The Conversation

Christophe Morin, Maitre de conférences en Biochimie, Vice-doyen à la pédagogie ; Président de PROMOSCIENCES, Université Paris-Est Créteil Val de Marne (UPEC) et Nicolas Dubois, Professeur agrégé de biochimie génie biologique, Université Paris-Est Créteil Val de Marne (UPEC)

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.