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Quand l’égalitarisme en matière d’accès aux études supérieures signe la mort des universités

Publié le 1 mars 2017

Article de Thomas Barnay,Professeur de sciences économiques à l'UPEC, publié sur The Conversation France

Manifestation à Nantes le 5 mars 2009 contre la réforme de l'enseignement supérieur.
Manifestation à Nantes le 5 mars 2009 contre la réforme de l'enseignement supérieur.
Date(s)

le 1 mars 2017

Photo : Manifestation à Nantes le 5 mars 2009 contre la réforme de l'enseignement supérieur. Manuel/Flickr

Le débat autour de la sélection en Master s’est réveillé depuis que le Conseil d’État du 10 février 2016 a jugé la sélection explicitement illégale. Depuis, le Ministère défend une position égalitariste et ouvertement opposée à toute sélection jugée « rétrograde ». Le premier acte de la confrontation entre le Ministère et les Universités a tourné à l’avantage des secondes. En mai 2016, les Universités ont pu obtenir le droit de sélectionner pour 1 300 mentions de Master, soit plus de 40 % des mentions existantes (Décret n° 2016-672 du 25 mai 2016 relatif au diplôme national de master). The Conversation


Depuis décembre 2016 (Loi n° 2016-1828 du 23 décembre 2016 portant adaptation du deuxième cycle de l’enseignement supérieur français au système Licence-Master-Doctorat), la sélection a été supprimée entre la première et la seconde année de Master (ce qui s’inscrit logiquement dans la réforme LMD, Licence-Master-Doctorat). Par ailleurs, désormais tout étudiant titulaire d’une Licence disposera, de jure, d’un accès à une première année de Master selon des modalités particulièrement discutables (en dernier ressort, le recteur d’académie sera dans l’obligation de faire trois autres propositions de Masters, si le premier choix n’a pas été satisfait). Cette dernière décision vise à augmenter le nombre d’étudiants accédant au niveau Master (en facilitant aussi le partage d’informations via le site trouvermonmaster.gouv.fr) et finalement à contourner la sélection.

Cet objectif assumé de suppression de la sélection est dangereux pour nos Universités et l’avenir des étudiants en termes de qualité de la formation mais aussi d’insertion professionnelle ; il conduirait à plusieurs dérives qu’il convient de décrypter et de dénoncer.

Refuser aux plus pauvres l’accès à l’excellence ?


Sélection en Master et droits d’inscription faibles sont les garants de l’excellence de notre Université et de l’accès au plus grand nombre à des formations supérieures qualifiantes et reconnues, tout en assurant la mixité sociale. Ils permettent d’associer efficacité et justice sociale. La dévalorisation des formations universitaires, à travers une potentielle interdiction de toute sélection, suppose implicitement que les étudiants les plus pauvres et les plus méritants n’auront plus le droit à l’excellence. Elle renforcerait, en outre, l’avantage concurrentiel des établissements privés. Cette dévalorisation n’augmentera pas le taux d’insertion sur le marché du travail. Pire, elle conduira à une précarisation d’étudiants de niveau bac + 5, les entreprises n’étant pas dupes, et à une représentation plus forte des étudiants issus de groupes sociaux les plus défavorisés dans les Masters de nos universités dont le niveau diminuera ; les étudiants les plus fortunés se tournant davantage vers des formations payantes et sélectives.

L’Université s’est pourtant remise en question de façon extraordinaire en une décennie. La sélection à l’Université n’est pas dogmatique. Elle vise à assurer une meilleure adéquation entre l’offre et de la demande de travail et à améliorer in fine les taux d’insertion sur le marché du travail. L’absence totale de sélection signerait la mort de l’Université. Postuler que 100 % des étudiants licenciés peuvent accéder à un Master s’apparente au mieux à une tartuferie, au pire à un mépris et une méconnaissance des formations, des Enseignants-Chercheurs de Masters et des prérequis pour accéder au Marché du travail à ce niveau de compétences. Nous ne pouvons pas défendre notre mission de service public, à laquelle nous sommes tant attachés, si elle ne s’appuie pas sur la reconnaissance de critères d’excellence, en Master a fortiori.

De nombreux Masters offerts à l’Université en Économie et en Gestion concurrencent aujourd’hui les plus hautes formations dispensées en écoles de commerce, c’est particulièrement le cas à l’Université Paris-Est Créteil. La qualité de nos formations de Masters repose souvent sur la combinaison d’ingrédients simples mais fragiles : la sélection à l’entrée du Master 2 (ou en Master 1 pour certaines formations), des groupes à taille humaine, des équipes pédagogiques bicéphales (universitaires et professionnels), des relations de confiance nouées avec les entreprises qui accueillent en stage ou en apprentissage des étudiants dont ils savent qu’ils ont été sélectionnés et formés et surtout l’implication de collègues, souvent Maîtres de conférences, qui ont accepté de sacrifier, de façon quasi bénévole, leur carrière de chercheur. Supprimer la sélection conduira des responsables de Master à jeter l’éponge.

En sciences humaines et sociales, les DESS et surtout les DEA fondés sur des enseignements théoriques préparant, sans le dire, davantage à un doctorat qu’à une insertion professionnelle, ont fait long feu. L’insertion professionnelle à bac + 5 s’est améliorée avec la refonte des formations, l’intervention de professionnels issus du monde de l’entreprise, l’apprentissage et les stages longs de Master, sans rogner sur les compétences académiques. Les universitaires ont évolué. Beaucoup de nos dirigeants n’ont pas eu la chance de suivre des formations universitaires et sortent des mêmes écoles sélectives. Ils ignorent, pour beaucoup d’entre eux, tout de nos formations. La sélection en Master associée à la faiblesse des droits d’inscription est la garantie que nous pouvons offrir l’excellence aux étudiants issus des groupes sociaux les plus défavorisés, et aux autres naturellement.

Suppression de la sélection et développement des Masters en alternance : une impasse ?


Si l’alternance se concentre à l’Université à plus de 50 % à un niveau bac + 2 (type BTS ou DUT), elle se développe de plus en plus à un niveau égal ou supérieur à bac + 3. Le nombre d’apprentis de Master a bondi de 3 000 en 2005 à 13 800 en 2014 (71 000 en bac + 2). Lorsqu’un contrat d’apprentissage tripartite est signé l’année de Master 2, l’accès est conditionné à l’octroi du dit-contrat. Dans tous les cas, l’entreprise sélectionne, par conséquent, l’étudiant.

Tous les Masters en alternance sont et, vraisemblablement, resteront donc sélectifs. Cette mesure de droit à la poursuite d’études pour les étudiants diplômés de Licence pourrait donc inciter les établissements à accroître le nombre de Masters en alternance au détriment des Masters en formation initiale afin de sanctuariser la sélection en Master mais aussi de dégager des ressources propres et d’améliorer l’insertion professionnelle des étudiants.

Néanmoins, cette potentielle transition s’effectuera :

  • au détriment des étudiants qui validant un Master 1 se verraient refuser l’accès à un Master 2 s’ils n’ont pas de contrat. La généralisation de contrats sur les deux années de Masters pourrait alors répondre à cette difficulté (comme c’est le cas dans certains Masters proposés par les Instituts d’Administration des Entreprises, par exemple). Dans une logique de cycles, on peut difficilement alors supposer que la validation d’une Licence 3 constituerait le sésame exclusif pour l’accès au Master.

  • au détriment des responsables de Masters qui seront contraints de mettre en place des formations en alternance (puisqu’ils sont attachés à la sélection) dont la gestion extrêmement chronophage les éloignera inéluctablement de la recherche, supposée constituer 50 % de leur activité. Ces collègues, souvent Maîtres de Conférences, auront-ils alors la possibilité d’être promus Professeurs des Universités, sans dossier scientifique solide ?

Suppression de la sélection et promotion de la recherche : une contradiction élémentaire ?


En outre, si l’accroissement des Masters en alternance se poursuit, voire même s’accélère, et que la sélection est abandonnée dans les formations initiales de Masters (notamment les anciens Masters 2 Recherche), comment recruterons-nous les doctorants ? Comment en effet promouvoir une économie de la connaissance sans investir dans ses ressources humaines ?

Selon le Ministère, la baisse des effectifs de doctorants, constatée entre 2009 et 2013, est notable (-5 %), en particulier dans les sciences humaines et sociales (-10 %). Ce phénomène peut, en partie seulement, s’expliquer par la diminution de la durée des thèses. Pourtant, le taux de chômage des docteurs a diminué selon la dernière étude du centre d’études et de recherches sur les qualifications (Céreq), ce qui fait des docteurs l’une des rares catégories dont le taux de chômage baisse sur une période récente. De toute évidence, la France sous-investit dans la recherche qui pourtant constitue une externalité positive évidente justifiant une intervention significative de l’Etat.

En 2015, la France ne consacre que 2,2 % de son PIB à la recherche et au développement, restant en deçà de la moyenne des pays de l’OCDE (2,4 %), derrière la Corée du Sud (4,2 %), la Suède (3,3 %), la Finlande (2,9 %), l’Allemagne (2,9 %) et les États-Unis (2,8 %). Par ailleurs, Master en alternance et parcours recherche en Master 2 ont du mal à coexister dans certaines UFR rendant schizophrènes les responsables de Master écartelés entre l’injonction toujours plus forte de la publication… internationale de préférence, et la mission de pilotage de formations de plus en plus professionnalisées. Si la sélection en Master devient caduque, les doctorants ne pourront plus être formés dans nos Universités. Les Masters seront dévitalisés et l’une des principales sources de production de la connaissance aura disparu…

Sans même évoquer ici le problème du coût associé à la montée en charge de ses nombreuses cohortes d’étudiants à un niveau Master, le risque de voir se développer des formations de très mauvaise qualité est réel du fait du droit donné à tout étudiant diplômé de Licence de poursuivre ses études.

Il paraît donc impératif de développer des Licences 3 professionnelles de qualité permettant un accès au Marché du travail à bac + 3 (pour les étudiants qui n’auront pas vocation à poursuivre en Master), de réfléchir à une sélection à l’entrée du Master 1 idoine s’appuyant sur des prérequis précis afin de sécuriser le parcours des étudiants engagés en second cycle et de maintenir une sélection spécifique dans les parcours recherche de Master 2.

Thomas Barnay, Professeur de sciences économiques, Université Paris-Est Créteil Val de Marne (UPEC)

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.