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« Résilience »

Publié le 7 décembre 2015

Article d'Émilie Rioust, Chercheuse en sciences sociales associée au Laboratoire eau, environnement et systèmes urbains de l'UPEC, publié sur The Conversation France

Résilience-shutterstock_2063640977
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le 7 décembre 2015

Les concepts d’« adaptation » et de « résilience » témoignent de nouvelles orientations des politiques en matière de changement climatique. Avec ces outils conceptuels originaux, les gouvernements et les experts posent les bases d’un programme de gestion des risques dans lequel les rapports entre individus, société et incertitudes sont bouleversés. Il s’agit désormais de s’organiser en envisageant les aléas et les catastrophes comme des certitudes : nous ne savons pas quand, comment, ni où ils vont se produire, mais nous savons qu’ils vont se produire.

L’adaptation est définie comme « la capacité d’ajustement des systèmes naturels ou humains face à un environnement changeant ». Elle est le pendant logique de l’« atténuation » (ou encore « mitigation ») du changement climatique, qui concerne la réduction des émissions de gaz à effets de serre. Elle est parfois présentée comme concurrente de l’idée de résilience, même si ces notions ne s’opposent en rien. Il faut plutôt les envisager comme les différents maillons du programme scientifique et politique destiné à prendre en charge les risques du XXIe siècle.
 

La capacité à « rebondir »

La notion de résilience a été largement utilisée par les médias américains après les attentats du 11-Septembre de New York. Il s’agissait d’insister sur la capacité du peuple à se reconstruire et à ressortir « plus fort » de la tragédie. Cet « optimisme de la catastrophe » qui transforme un drame en opportunité de changement pour organiser un monde meilleur, a également été utilisé après le passage du cyclone Katrina à la Nouvelle-Orléans.

Le traumatisme ou la perturbation sont au final l’occasion de se questionner : le traitement du problème me convient-il vraiment ? De quoi ai-je besoin pour surmonter les évènements catastrophiques ainsi que pour construire une société qui correspond vraiment aux valeurs les plus essentielles ? Ce positionnement se retrouve dans la littérature portant sur la résilience socio-écologique, les villes en transition et la permaculture.

À l’origine, cette notion n’était pas liée à la science des risques, mais plus généralement à l’idée de chocs et de résistance. La résilience s’utilisait au début du XXIe siècle en science des matériaux. On la voit apparaître, par exemple, après la catastrophe du Titanic pour traiter de la résistance des matériaux utilisés pour la construction du navire. Depuis les années 1950, la notion n’a cessé de séduire nombre de disciplines – psychologie, écologie, management et géographie des risques, sociologie – et d’investir différents champs d’analyses. Dès les années 1955, la psychologue américaine Emmy Werner travaillait sur la résilience des enfants ayant subi des traumatismes prénataux afin d’identifier les facteurs de protection susceptibles de contrebalancer l’influence des facteurs de risque. Boris Cyrulnik reprendra et médiatisera plus tard cette notion pour traiter de la capacité des plus jeunes à « vivre avec » un passé traumatique.

Boris Cyrulnik a popularisé la notion auprès du grand public.
 

Ajustements permanents des écosystèmes

Historiquement, l’utilisation scientifique de la résilience s’est beaucoup développée en écologie. En la reliant à la capacité des systèmes à absorber les chocs et à continuer à fonctionner, C.S. Holling en fait évoluer le sens dans les années 1970. Il ne s’agit plus de comprendre la résistance aux chocs, mais de saisir les changements-ajustements permanents des écosystèmes. Les événements perturbateurs n’ont rien d’exceptionnel, ils sont en permanence vraisemblablement réalisables. Ce qui compte, c’est de comprendre la capacité d’adaptation permanente. Beaucoup de travaux se sont alors attachés à montrer la capacité de résilience de la nature. Notons ici que la garantie de la biodiversité et la diminution drastique des pollutions chimiques sont des facteurs d’amélioration des capacités de résilience des écosystèmes.

Si on veut appliquer la notion aux systèmes humains, la logique de la résilience peut donc être résumée par le terme espagnol aguantar qui signifie à la fois « supporter » et « absorber », pour être plus fort et dépasser les situations qui constituent des épreuves. En français, il n’y a pas de verbe qui puisse recouper aussi bien la notion de résilience et sa racine latine resilio, qui signifie « revenir en arrière », ne convient pas au sens qui est aujourd’hui donné à la résilience en gestion des risques.


Résilience et changement climatique

La résilience figure dès le début des années 2000 dans les textes internationaux relatifs à la gestion des risques. On la trouve ainsi dans les principes de l’adaptation développés dans le Protocole international sur le changement climatique de 2001, par le Groupe international des experts sur le changement climatique (GIEC). La résilience constitue alors un aspect de la capacité d’adaptation des systèmes humains.

Le GIEC définit la résilience comme la capacité des organisations à recouvrir un état normal de fonctionnement après avoir subi une catastrophe. Elle fait partie des capacités des individus à s’organiser pour gérer les risques. Les capacités d’adaptation des sociétés au changement climatique des systèmes dépendent, quant à elles, de l’état des connaissances, du progrès technique, de la capacité des individus à s’organiser pour se protéger des risques et de la capacité des sociétés à innover.

Parallèlement, la Stratégie internationale pour la réduction des catastrophes naturelles des Nations unies propose de définir la résilience ainsi :

« La capacité des systèmes, communautés ou sociétés à résister ou à changer dans le but de pouvoir obtenir un niveau acceptable de fonctionnement et de stabilité. Ceci est déterminé par le niveau par lequel le système social est capable de s’auto-organiser et par sa capacité à augmenter ses capacités d’apprentissage et d’adaptation, y compris la capacité de revenir à un état normal de fonctionnement après une catastrophe. L’investissement dans la réduction des risques est avant tout et essentiellement motivé par le souci de protéger les hommes et les populations. Il s’agit d’améliorer les standards de sécurité et les conditions de vie des populations en gardant un œil sur la protection contre les aléas afin d’accroître la résilience des communautés. »

Nous voyons donc que la résilience et l’adaptation ont deux grands points communs. En tant que programmes politiques et scientifiques, ils s’adressent à la fois aux acteurs collectifs et individuels. Face à l’incertain, risques et catastrophes, les institutions comme les citoyens doivent agir et savoir réagir. Il est finalement reconnu que nous agissons dans un monde incertain, cette incertitude ambiante et permanente ne doit pas pour autant freiner l’action d’adaptation.


Une éthique de vulnérabilité

Communautés et institutions ont inscrit la gestion de l’incertain à leur agenda. L’injonction est déclarée, mais le programme d’action est en discussion. Notons que les travaux qui ont étudié les capacités de résilience des populations après les catastrophes font état d’une grande capacité de « rebond ». Prêts de fournitures, entraides, soutien moral, logistique et financier des voisins et de la famille, transformation des espaces pour de nouveaux usages… les exemples sont légion pour montrer que les individus trouvent de la force dans et après les catastrophes pour vivre et reconstruire. La prise de conscience que tout ce que l’homme bâti peut être détruit, nous engage à questionner notre éthique de la vulnérabilité.

Il faut aujourd’hui espérer que les notions de résilience et d’adaptation soient prises pour ce qu’elles sont : des guides analytiques pour changer nos points de vue sur le danger et nos possibilités d’actions. Elles sont fondamentales pour réfléchir à notre positionnement face aux crises écologiques qui sont en majeure partie d’origine anthropique. Or la technologie ne doit pas dominer la nature, mais bien s’en inspirer. Sans quoi, nous serons toujours plus condamnés à exercer et à affaiblir nos capacités intrinsèques de résilience.

The Conversation

Émilie Rioust, Chercheuse en sciences sociales associée au Laboratoire eau, environnement et systèmes urbains, Université Paris-Est Créteil Val de Marne (UPEC)

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.