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Quand le rap s’invite à l’école

Publié le 25 juillet 2017

Article de Catherine Gendron, Chercheuse en sociologie à l'UPEC, publié sur The Conversation France

Quand le rap s’invite à l’école
Quand le rap s’invite à l’école
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le 25 juillet 2017

Photo : Le visuel du dernier album de Médine. Genius 

Né dans les ghettos du Bronx au début des années 1970, le rap est arrivé en France au milieu des années 1980. Issu de la culture urbaine, vilipendé par les uns, plébiscité par les autres, il est devenu de plus en plus écouté, au point aujourd’hui, malgré des réticences toujours tenaces, de s’imposer comme une musique « populaire ». Dorénavant incontournable dans notre paysage musical, il fait progressivement son entrée dans les écoles, tous niveaux et toutes matières confondus.
 

Le rap intéresse des disciplines et des niveaux variés

Le rap est aujourd’hui utilisé comme vecteur d’apprentissage dans l’enseignement primaire, secondaire, et fait l’objet de nombreuses recherches à l’université. Il intéresse des disciplines variées, de manière parfois inattendue. En éducation musicale, dans le Programme national de pilotage d’octobre 2009 en Arts appliqués et culture artistique, le rap côtoie désormais les auteurs classiques, le rock et la musique pop. Il est également étudié en éducation civique, en sciences économiques et sociales, et aussi en langues étrangères, à l’école, à l’université ou en dehors du système scolaire.

En 2012, la maison d’édition scolaire Nathan faisait entrer le rappeur havrais Médine dans un livre d’histoire de terminale par la publication de son rap « 17 octobre » dans un chapitre sur la guerre d’Algérie. Un professeur de Mathématiques s’est même servi du rap pour expliquer le théorème de Pythagore à ses élèves.

Comment expliquer un tel engouement chez les enseignants pour une musique pourtant encore aujourd’hui très contestée ?

Une musique qui parle aux élèves

Dans le cadre de ma profession, j’organise régulièrement des ateliers slam en lettres et en anglais. Pour l’année prochaine, j’ai prévu d’organiser une journée (semaine ?) urbaine qui mettra à l’honneur le slam, le rap, le graff et, peut-être aussi, le skate et/ou le BMX. La classe à qui j’ai proposé ce projet l’a adopté à l’unanimité. Pourquoi un tel enthousiasme ? Parce que, disent-ils, « ça nous parle ».

À l’heure actuelle, face à un désintérêt grandissant des élèves pour l’école, de nombreuses recherches s’orientent vers les facteurs susceptibles de stimuler leur motivation. Des chercheurs comme Roland Viau insistent sur le fait que, pour être motivés, les élèves doivent trouver un intérêt aux activités qu’il leur est demandé de réaliser. Ainsi, une activité qui fait sens pour l’élève est une activité qui, par exemple, correspond à ses centres d’intérêt. D’autres recherches mettent l’accent sur l’importance des émotions, notamment du plaisir, dans les apprentissages, particulièrement à l’occasion d’activités créatives.

Le rap parle à de très nombreux élèves, c’est indéniable. Ils s’y intéressent pour de multiples raisons. Tout d’abord, c’est une musique qui, par les thèmes qu’elle aborde, convient à un esprit de rébellion caractéristique de l’adolescence. Ensuite, il y a dans les modes de verbalisation rapologique une fonction de cryptage (notamment par l’usage du verlan et du veul, forme de verlanisation du verlan) qui répond à leur goût pour le secret et qui dresse une frontière entre le monde adulte et le leur. Enfin, en plus de l’aspect cryptique du rap, la surabondance de jeux de et sur les mots lui donne un aspect ludique dont les adolescents raffolent.

Le rap, véritable couteau suisse didactique

Le rap constitue donc un bon outil didactique. Mais comment les enseignants s’en servent-ils ?

Citer Médine dans un livre d’histoire permet d’attirer l’attention des élèves sur un événement qui, parfois, leur paraît très lointain et ne leur semble pas les concerner (aux dires de certains de mes élèves). Le fait que des rappeurs s’y intéressent peut insuffler un regain d’intérêt chez eux. D’autant que Médine est réputé pour son grand attachement à l’histoire. Il est également réputé pour écrire des textes très documentés.

Quels que soient leur niveau de scolarisation et les rapports qu’ils entretiennent avec l’institution scolaire, les rappeurs sont fans de littérature et de chanson française et ils s’en inspirent. Leurs textes regorgent de références et d’hommages à nos grands auteurs, romanciers, poètes et chanteurs à texte comme, par exemple, Renaud, Jacques Brel, Georges Brassens, Boris Vian, Victor Hugo, Verlaine, Rimbaud, Baudelaire, Voltaire. Ces auteurs et chanteurs font partie de leur patrimoine culturel, aux côtés de grands auteurs étrangers tels que Lewis Carroll. Aussi, des manuels scolaires font figurer, à pied d’égalité, des extraits de chansons, de poésies et de romans appartenant à des genres différents, dont le rap.

Il est donc tout à fait envisageable d’établir un pont entre le rap, la chanson à texte et la littérature française, en préambule à une étude de texte littéraire ou poétique. Les figures de style, les échos sonores, les jeux sur les mots sont légion dans les textes de rap. Pourquoi ne pas les étudier en les comparant à des auteurs plus classiques pour montrer aux élèves que les techniques employées par les uns et par les autres sont finalement les mêmes. Les élèves peuvent également être invités à produire des textes plus ou moins longs, poétiques ou autres (pourquoi pas des parodies, pour rester dans le style provocateur du rap qui plaît tant aux adolescents) en français ou en langues étrangères, qu’ils apprennent ensuite à rapper.

Par ailleurs, les scansions propres au rap sont de fabuleux outils d’apprentissage : le rythme, les rimes et les effets de répétition procurent aux élèves une aide précieuse quand il s’agit de mémoriser. D’où une utilité certaine pour l’apprentissage de règles de grammaire, de formules mathématiques, de dates, etc. Des enseignants ont donc utilisé ces rythmes particuliers en cours de langues, notamment pour apprendre les verbes irréguliers :

Ou bien pour réviser des points de grammaire :

Bien entendu, ils les ont aussi utilisés dans le cadre d’entraînements à la prononciation :

Enfin, les enseignants de FLE (Français langue étrangère) et FLS (Français langue seconde) sont de plus en plus nombreux à utiliser le rap dans leurs cours. Parmi ses apports, on trouve principalement la sensibilisation à divers registres de langue, l’apprentissage lexical, phonétique et phonologique, l’apprentissage de techniques poétiques, l’étude de points culturels et sociaux (l’immigration, l’exclusion sociale…).

Quid de la violence exprimée par le rap ?

Peut-on légitimement proposer de tels textes à nos élèves ? Et pourquoi pas ? Après tout, certains de nos plus grands romanciers, poètes et chanteurs « à texte » ont produit eux aussi des œuvres d’une violence certaine qui, en leur temps, ont parfois causé des ennuis à leurs auteurs. Et pourtant, elles sont aujourd’hui considérées comme des éléments majeurs de notre patrimoine culturel. À titre d’exemple, citons La Charogne de Baudelaire, J’irai cracher sur vos tombes de Boris Vian, Lemon incest de Serge Gainsbourg et Le gorille de Georges Brassens. Et puis, comme le dit Valérie Morel, inspectrice pédagogique régionale en éducation musicale, « c’est le rôle du professeur d’expliquer le texte ».

Photo : La violence est une composante de la littérature. Booknode

En effet, étudier un mouvement musical exige d’en étudier l’histoire et le contexte social dans lequel il a été produit. Mes recherches m’ont amenée à comprendre que la violence exprimée par le rap n’est somme toute que symbolique et rituelle. La violence symbolique est l’une des composantes de toute société, quels qu’en soient le lieu et l’époque ; elle aide à réguler les tensions du quotidien. Aborder ce point au cours d’une étude de textes de rap me paraît indispensable afin de comprendre l’essence même de cette musique, mais aussi afin d’en dédramatiser, auprès des jeunes comme des adultes, les références violentes qui sont trop souvent prises au premier degré. Ainsi que le souligne le groupe NTM, « Il serait temps de comprendre aussi que NTM n’a l’intention de niquer la mère de personne ». Autrement dit, il est grand temps de réaliser que les insultes proférées dans les textes de rap sont à prendre au second degré, au moins.

The ConversationLes rappeurs ont pris pour leitmotiv « le savoir est une arme ». Ils font de la connaissance au sens large l’arme suprême grâce à laquelle nous pouvons diriger et assumer notre existence. Par conséquent, quoi de plus logique que d’inviter le rap dans nos séquences pédagogiques pour instruire nos élèves !

Catherine Gendron, Chercheuse en sociologie, membre du LIRTES (Laboratoire Interdisciplinaire de Recherche sur les Transformations des pratiques Educatives et des pratiques Sociales) - EA 7313, Université Paris-Est Créteil Val de Marne (UPEC)

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.