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Les défis de la sûreté des salles de spectacle et autres lieux publics

Publié le 28 mai 2017

Article de Fabrice Hamelin, Enseignant-Chercheur en science politique à l'UPEC, publié sur The Conversation France

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le 28 mai 2017

Les cris de douleur partis de Manchester, il y a une semaine, ont immédiatement rappelé aux Parisiens, l’attaque d’une autre salle de spectacle, celle du Bataclan, fin 2015. Au-delà de la compassion et de la solidarité nécessaires, la nouvelle ministre française de la Culture en a tout de suite indiqué l’enjeu dans un appel lancé à la jeunesse – « Continuez d’aller aux concerts » – avec pour référence la présence des jeunes, dès le lendemain du 13 novembre, aux terrasses des cafés parisiens.

Cette nouvelle attaque terroriste, au-delà des légitimes questions qu’elle pose sur l’auteur et son passage à l’acte, suscite aussi des interrogations sur l’action publique visant à améliorer la sûreté des espaces publics et des infrastructures dédiées au spectacle. Nul doute que le lieu choisi et la jeunesse des victimes vont avoir un impact sur le sentiment de sécurité et la fréquentation des manifestations culturelles à la veille des festivals qui traditionnellement rythment l’été.
 

Un filtrage rendu inopérant

L’attaque de Manchester suscite plusieurs interrogations pour la sécurisation des salles de spectacle, au-delà du fait qu’il s’agit de la plus meurtrière des attaques qui ont eu lieu en Grande-Bretagne depuis les attentats de Londres en juillet 2005.

D’abord, ce n’est pas tout à fait un acte de terrorisme « low tech ». L’auteur a fait usage d’un engin explosif, ce qui dénote une certaine sophistication par rapport aux attaques à l’arme blanche ou à la voiture bélier. On ne sait pas non plus encore s’il s’agit réellement d’un de ces « loups solitaires » caractéristique de ce nouvel âge du terrorisme. De plus, le lieu et le moment de l’attaque sont essentiels. L’engin explosif a été déclenché à proximité de l’une des sorties de l’espace Arena, à l’extérieur donc de la salle de spectacle, dans un espace public, libre d’accès, situé entre la salle de concert et la station de métro.

Ces éléments renvoient immédiatement à la vulnérabilité des infrastructures publiques et notamment de transport : des systèmes ouverts, de forte concentration des populations et qui offrent des opportunités de provoquer des grands dégâts à la société et à un coût minimal pour leurs auteurs. Ils défient aussi un certain nombre des mesures prises pour réduire cette vulnérabilité. Le choix de la sortie du concert, de la fin du spectacle, rend inopérants les filtrages auxquels on s’est habitué à l’entrée des espaces publics.
 

La diversité des tâches de sécurité

Comme pour les infrastructures de transport, la sûreté des salles de spectacles permet de bien identifier ses différents modes de prise en charge dans les espaces publics et aussi d’en faire ressortir la difficulté. Bien entendu, les pouvoirs publics cherchent à prévenir les passages à l’acte, à partir de l’identification et de la surveillance d’individus ou de populations jugées dangereuses ; c’est plus particulièrement l’objet des activités de renseignement et de la coopération internationale en matière de police. C’est, aujourd’hui, la dimension la plus valorisée dans le débat public.

Les pouvoirs publics cherchent aussi à dissuader par le déploiement de dispositifs de sécurisation de l’espace, à l’exemple des patrouilles – toujours plus visibles – ou de recours aux postes de filtrage ou aux systèmes de vidéosurveillance. Mais il ne faut pas pour autant négliger les enjeux de la gestion post-attentat qui repose sur l’efficacité des services de secours ou bien la gestion des phénomènes de panique. L’épisode de Manchester a montré une fois encore que cette phase cruciale peut désormais bénéficier des initiatives privées et notamment du développement des réseaux sociaux.

Enfin, dans des sociétés qui sont saturées par les médias, la communication de crise est devenue un incontournable. La prise de parole, immédiate et dans un réflexe désormais quasi-pavlovien des responsables politiques pour inciter la population à continuer à sortir en offre une illustration.
 

Les incontournables de la sûreté dans les espaces publics

Les mesures prises en France, à la suite des attentats du 13 novembre, indiquent ce que sont aujourd’hui les incontournables de la sûreté dans les espaces qui accueillent du public. Dans le domaine de la prévention, la vraie innovation concerne l’attention portée à l’information des spectateurs et des professionnels du spectacle. Il s’agit de contribuer (via les consignes Vigipirate, la diffusion de guides de bonnes pratiques et les exercices de simulation notamment) à éduquer aux comportements à avoir en cas d’attentat : se cacher, alerter, connaître les gestes qui sauvent…

Il s’agit aussi de mieux protéger le public pendant le spectacle et de renforcer la vigilance et les contrôles d’accès. La sectorisation, le filtrage – les billets nominatifs en font partie – et la fouille en sont les garants. Ces consignes comportent aussi des recommandations en termes d’aménagement des bâtiments, à l’exemple de l’installation de vidéosurveillance, de portiques ou de détecteurs pour les plus grandes salles. Le renforcement de la visibilité de ces mesures de protection est un autre point essentiel.

Ces mesures prises au lendemain de l’attentat du Bataclan ont connu un renforcement après les attentats de Nice en juillet 2016. Elles sont plutôt classiques. La vraie innovation réside dans la volonté de créer une culture de sûreté parmi les responsables des établissements et des rassemblements culturels et plus largement au sein de la population. Ces dispositifs de sécurité « rassurent », ils ne sont pas jugés trop contraignants par le public mais ils sont perçus comme insuffisants en ce qui concerne l’extérieur des salles de spectacle. On retrouve ainsi les dilemmes classiques de la sûreté : quelle est la réelle efficacité des mesures et des consignes ? Quel est leur degré d’acceptabilité ? Enfin, quel est leur potentiel de réassurance de la population ?

De plus, ces mesures ne vont pas sans rencontrer de difficultés de mise en œuvre. La pratique du filtrage comme les fouilles peuvent, dans ces espaces à vocation récréative et commerciale, se heurter au souci légitime d’éviter les files d’attente et les fouilles. Non seulement elles augmentent le temps d’exposition au risque mais elles peuvent devenir anxiogènes ou au moins contraignantes pour le public.

Ces aménagements de sûreté, qu’ils concernent les équipements comme les effectifs, ont un coût. Ces dépenses ne sont en rien négligeables pour les organisateurs d’évènements, comme le rappelle la mise en place d’un fonds d’aide de l’État suite aux attentats de novembre 2015. De ce point de vue, les priorités qui vont être définies par les pouvoirs publics sont déterminantes : la prévention, la dissuasion ou la gestion de la crise ?

Avec le temps et l’éloignement de l’évènement déclencheur, les mesures peuvent aussi être perçues comme exagérément contraignantes et les consignes appliquées avec moins de rigueur. Elles peuvent ainsi être reléguées dans la hiérarchie des priorités des acteurs concernés.
 

La sécurité, pas le lieu fortifié

Mais ces limites des mesures adoptées n’épuisent pas le sujet. En effet, l’action de l’État ne doit pas masquer le partage qui caractérise, aujourd’hui, la prise en charge de la sûreté. Les spectacles, les animations festives et culturelles sont essentiels pour les collectivités locales, ne serait-ce que pour se distinguer au sein d’un territoire ou d’un bassin d’activité. Pour les collectivités territoriales, les circulaires préfectorales peuvent alors se révéler particulièrement contraignantes, parce qu’elles rendent nécessaires des équipements supplémentaires voire le recrutement de personnels dédiés à la sécurisation des évènements organisés.

La sécurisation des espaces publics repose aussi sur un partage des tâches entre la sécurité privée et la sécurité publique. Ce partage affecte ainsi les relations entre les polices (nationales et municipales) et les agences privées de sécurité. Il crée donc aussi un possible espace de confrontation ou au moins de tension.

L’exigence faite à la sécurité privée est de ne pas entraver l’activité première du lieu public (ici récréative et commerciale). Autant une situation pacifiée favorise le développement de cette activité première, autant la présence excessive des dispositifs de sécurité peut se révéler décourageante. D’un côté, une protection visible et rassurante est attendue ; de l’autre, il peut être difficile de profiter du spectacle dans un espace qui ressemblerait à un lieu fortifié. Dans le même esprit, l’enjeu premier pour les exploitants demeure l’entretien d’un sentiment de sécurité.

Pour les agents de sécurité, les enjeux récréatifs et commerciaux priment donc sur l’enjeu sécuritaire. Cette double exigence complique leur travail et ne facilite pas leurs relations avec les forces de police qui n’ont pas le même ordre de priorités.

The ConversationSi ces différences d’appréciation de l’enjeu sécuritaire ne facilitent pas une coopération et un partenariat pourtant nécessaires, au moins peut-on espérer que cette nécessité débouche sur une division du travail de sécurisation qui réponde aux partage des responsabilités entre les services de l’État, les collectivités territoriales et les responsables d’évènement et de rassemblement à caractère culturel.

Fabrice Hamelin, Enseignant-Chercheur en science politique, Université Paris-Est Créteil Val de Marne (UPEC)

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.