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La sûreté des transports à l’épreuve du risque terroriste

Publié le 4 octobre 2016

Article de Fabrice Hamelin, Enseignant-Chercheur en science politique à l'UPEC, publié sur The Conversation France

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Date(s)

le 4 avril 2016

La mise en débat de la menace terroriste et des réponses qui y sont apportées par les pouvoirs publics est un signe de bonne santé démocratique. Il semble plutôt sage que ces questions aussi soient discutées en place publique et ne soient plus perçues comme réservées aux seuls spécialistes, qu’ils soient professionnels de la sécurité ou politiques en responsabilité.

Les éléments du débat sont connus mais dispersés. Un premier élément d’interrogation relève du bon sens et est abondamment discuté : qui sont-ils et pourquoi font-ils cela ? La discussion porte alors sur l’identité des terroristes, leurs origines, ce qui les relie à leur environnement et à notre société, l’organisation qui les réunit et les manipule.

Tout cela mérite évidemment notre attention. Il n’y a pas de raison de relancer ici les débats sur la connaissance et ses usages. On pressent très bien tout l’apport de cette démarche pour construire une réponse adaptée à la réalité de la menace. Qu’un responsable politique ressente le besoin de renforcer son appel à la guerre contre le terrorisme par un mépris volontairement affiché pour le savoir ne va guère au-delà de la bravade populiste visant à bien distinguer – comme si il pouvait y avoir un doute aujourd’hui ! – les agissant et les sachant. Mais la réflexion sur qui sont les terroristes, ce qui les motive et les fait passer à l’acte ne suffit pas.
 

Sortir des imprécations

Une autre question essentielle pour les pouvoirs publics et les sociétés concernées est bien : comment ont-ils pu le faire ? L’enracinement de la menace et la succession des attentats semblent légitimer cette question longtemps vue comme secondaire ou politiquement plus incorrecte. Elle suggère en effet l’existence de dysfonctionnements voire de défaillances – celles prêtées aux organismes de renseignement, par exemple, ou les difficultés de coordination des moyens des partenaires sont aujourd’hui le plus discutés. Elle réanime aussi le spectre d’une postmodernité où il faut renoncer au risque zéro. La menace est là et bien là. Nous ne pourrons pas l’éradiquer, regardons comment elle peut être gérée.

Cette question-là est essentielle, puisqu’elle nous renvoie aux termes du contrat social qui nous réunit et aux limites que nous acceptons pour nos libertés en échange de la sécurité pour nous, nos proches et nos biens. Elle renvoie aussi, plus prosaïquement, à la légitimité et à l’efficacité de l’action publique dans ce domaine.

C’est ici que les mots utilisés semblent bien trop généraux : identifier les terroristes, faire la guerre au terrorisme, accepter la vulnérabilité de nos sociétés, s’opposer à la constitution d’enclaves criminogènes, reconnaître l’échec des services de renseignement, admettre l’impuissance des États…

Bien entendu, dans le débat public, ces formules font sens. Mais ces imprécations n’aident pas vraiment à comprendre la menace, l’acte commis et les réponses que les gouvernants peuvent y apporter. Ainsi, pour interroger les attentats de Bruxelles, il ne faut pas simplement regarder les attentats parisiens, parce qu’ils sont voisins dans le temps et l’espace. Il faut aussi faire revenir en mémoire ceux de Madrid (2004), de Londres (2005), de Moscou (2010) et aussi celui commis, bien plus récemment, dans le Thalys.

Au-delà du contexte général, le métro et l’aéroport visés mardi dernier renvoient à une question qui est celle des particularités de la sûreté dans les transports.
 

Continuum de risques

Distincte de la notion de sécurité, la sûreté recouvre les mesures qui sont prises pour éliminer le risque « intentionnel », c’est-à-dire pour prévenir et gérer les actes de délinquance et de malveillance à l’égard des biens et des personnes dans les espaces dédiés à la mobilité. Pour les responsables de la sûreté, ces actes dessinent un continuum qui va des incivilités aux actes terroristes, en passant par d’autres crimes et délits.

L’actualité conférée aux actes terroristes ne peut pas effacer ce continuum de risques et le fait qu’ils ne se combattent pas forcément avec les mêmes outils. L’inscription du terrorisme dans ce continuum de menaces relativise la place qui lui est accordée dans l’action publique.

Il y a également une spécificité de la sûreté des transports qui renvoie à des systèmes ouverts. Ces derniers constituent des espaces de forte concentration des populations et offrent ainsi, aux terroristes, des opportunités de provoquer des grands dégâts à la société et à un coût minimal. De plus, les implications de l’acte terroriste sont aisément magnifiées. Elles dépassent le seul périmètre du système de transport du fait des impacts économiques d’un arrêt ou d’une paralysie momentanée de la mobilité.

Ces caractéristiques font que les outils et les compétences des terroristes n’ont pas forcément besoin d’être très sophistiqués pour faire des dégâts considérables. Le recours aux bombes, y compris artisanales, va dans ce type d’espace pouvoir être privilégié, par rapport à d’autres armes plus difficiles à manier. Les comparaisons avec les résultats des attaques dans le Thalys – où l’intervention de passagers courageux contre un assaillant armé a permis d’éviter un drame – et avec les actions suicides commises près du stade de France en novembre dernier en offrent une illustration.
 

« Attentifs ensemble ! »

De plus, l’acte terroriste une fois commis appelle d’autres réponses liées notamment à l’évacuation des victimes et à la remise en marche du système. L’impact potentiel est donc déplacé vers les moyens et les modalités de gestion de la crise. Une double attaque renforce évidemment la difficulté pour les pouvoirs publics. La question de la gestion des conséquences de l’attaque terroriste montre que le problème ne s’arrête pas à l’action des services de renseignement, même si elle en est un rouage clé dont on ne peut accepter les défaillances.

Il faut aussi intégrer dans la réflexion les réponses technologiques et architecturales, étroitement localisées, apportées à la menace terroriste. Cela renvoie aux démarches liées à la prévention situationnelle et aux débats sur la possibilité de recours aux portiques ou autres technologies de détection. Bien entendu, la mobilisation des ressources humaines dédiées est l'autre voie communément empruntée. Il s’agit des forces policières et militaires, bien entendu, mais de plus en plus aussi des services de sécurité des opérateurs privés de transport. La SNCF annonce ainsi que ses agents de sûreté armés vont patrouiller dans les trains. La privatisation d’une partie de la prise en charge de la sûreté va même jusqu’à l’enrôlement des usagers et des agents des opérateurs de transport dans l’activité de surveillance – « Attentifs ensemble ! »

L’évocation de ces différents acteurs, chargés du contrôle et de la surveillance quotidienne des systèmes de transports, entraîne vers d’autres questions allant de la coordination des actions aux cofinancements dont peut dépendre le développement de l’action publique dans ce domaine.
 

Gérer la menace

Les prises de parole qui se multiplient pour nous éclairer sur les attentats commis en Belgique ne peuvent ainsi faire l’impasse sur les spécificités des systèmes de transport et leurs répercussions sur l’intervention publique en matière de sûreté. La compréhension des défis propres à la sûreté de la mobilité, que ce soit dans les gares, les stations de métro et les aéroports, demande l’intégration de questions liées à la technologisation et à la privatisation des réponses visant à prévenir et gérer cette menace.

Elle passe certes par l’étude des réponses des États et des regroupements régionaux aux problématiques posées par la globalisation de la menace terroriste. Mais elle doit tout autant tenir compte des dispositifs locaux de prévention et de réponse aux actes qui ont été commis.

The Conversation

Fabrice Hamelin, Enseignant-Chercheur en science politique, Université Paris-Est Créteil Val de Marne (UPEC)

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.