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Des vaccins au Levothyrox : comment la panique sanitaire se propage

Publié le 14 septembre 2017

Article d'Antoine Pelissolo, Professeur de psychiatrie à l'UPEC, publié sur The Conversation France

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Date(s)

le 14 septembre 2017

Ils sont 9 000 patients à avoir signalé des effets indésirables du Levothyrox, le médicament pour la thyroïde, et beaucoup à réclamer le retour à l’ancienne formulation. Autre sujet de défiance : la vaccination. Dans notre pays, 39 % de la population estime que ses dangers sont supérieurs à ses bienfaits, selon le sondage le plus récent.

C’est un fait : les Français remettent de plus en plus souvent en cause les informations officielles en matière de santé, en même temps que les recommandations des autorités sanitaires. On spécule sur toutes sortes de raisons qui pourraient expliquer ce phénomène : l’influence de lobbies agissant en sous-main – l’industrie pharmaceutique, les défenseurs des médecines douces ; d’habiles manipulations à visée politicienne, visant par exemple à déstabiliser le nouveau gouvernement ; le succès de la théorie du complot en général…

Soit. Mais l’ensemble de ces motifs ne suffit pas à expliquer des réactions aussi épidermiques. Dans le nouveau Levothyrox, le seul changement d’excipient (substance ajoutée au principe actif) explique difficilement que tant de personnes ressentent des effets secondaires très marqués. De même, comment comprendre que plus d’un tiers des Français soient réticents à se protéger ou à protéger leurs enfants par la vaccination contre des maladies mortelles ?

Il ne s’agit pas de mauvaise foi de leur part, de faiblesse de raisonnement ni de délires collectifs. Mais bien d’une réalité psychologique, et même biologique : l’anxiété et la peur. Ces deux émotions sont ancrées au plus profond de notre ADN et de notre cerveau, car elles sont essentielles à la survie de notre espèce et à son adaptation au monde. Dans certaines situations, elles sont irrépressibles et impactent d’une manière qui peut sembler irrationnelle notre jugement, nos ressentis et nos comportements.

Le cerveau en mode « panique »


En mode « panique », le cerveau débraye et seule compte l’urgence de la mise à l’abri – l’analyse est remise à plus tard. Ceci s’observe clairement chez les personnes souffrant de troubles anxieux, mais ces phénomènes peuvent être à l’œuvre chez chacun d’entre nous quand des facteurs, parfois subtils, créent les conditions d’une menace grave potentielle.

En plus de déclencher l’alarme à l’intérieur de soi, la peur a vocation à protéger également les « congénères », en les prévenant du danger détecté. Comme toutes les émotions, elle est donc visible par les autres, grâce aux expressions du visage et à l’attitude générale du corps. Elle est même ressentie et transmissible inconsciemment, du fait de l’empathie.

En plus de cette contagion automatique de la peur, l’anxiété pousse à s’exprimer, à chercher une écoute et souvent du réconfort auprès de l’autre. Il est donc très difficile de ne pas la propager, même involontairement, autour de soi. Et il est trivial de rappeler que les outils modernes de communication et les réseaux sociaux offrent désormais une caisse de résonance infinie à cette tendance déjà naturelle au partage de la peur.

L’anxiété n’est pas la peur


Paniquer face à un prédateur ou à un feu de forêt, d’accord. Mais comment expliquer cette réaction avec un médicament, ou un vaccin ? C’est là qu’il faut différencier la peur de l’anxiété. La première est une émotion primaire et à proprement parler « animale ». Elle survient de manière soudaine et réflexe face au danger. La peur peut surgir en quelques dixièmes de secondes, et disparaître presque aussi vite si la menace est écartée.

Nous avons le même « système de la peur » que la plupart des animaux, tous les mammifères en tout cas, avec des bases cérébrales (cerveau limbique) et hormonales (adrénaline, cortisol…) similaires. En revanche, l’anxiété est le propre de l’humain au cerveau surpuissant, capable de se savoir en vie mais aussi de savoir qu’il va mourir. L’homme possède cette aptitude à garder à jamais en mémoire le souvenir d’une peur violente de quelques secondes, et de la projeter dans l’avenir pour se protéger d’un danger potentiel.

L’anxiété, c’est la peur plus le langage ; c’est la peur anticipée et aussi la peur fantasmée, car l’imaginaire joue chez l’humain un rôle majeur dans sa perception du monde. Pour le meilleur en général, mais parfois pour le pire. C’est là le résultat d’un dialogue complexe et permanent entre le cerveau « du haut », le cortex préfrontal qui calcule, anticipe, pense, essaie de prendre les meilleures décisions ; et le cerveau « du bas », le système limbique qui observe, ressent, rêve, se souvient et vit le monde plus avec les tripes qu’avec des équations logiques.

Les médicaments, la sécurité de nos aliments, sources d’anxiété


L’anxiété a donc le même impact sur notre capacité à raisonner que la peur, même si ses effets se produisent à bas bruit et de manière plus pernicieuse. Et cela d’autant plus sur une question majeure comme celle de la santé, qui touche aux maladies et à la mort. Cette thématique est toujours en tête des préoccupations de la majorité d’entre nous, que l’on soit normalement ou maladivement anxieux, voire phobique. Tous les sujets qui s’en rapprochent, comme les médicaments, les infections ou la sécurité de nos aliments, sont des générateurs d’anxiété sans équivalent.

Dans le cas du Lévothyrox, même si le tour de la question pharmacologique n’a pas encore été totalement fait, tout concourt à créer les conditions d’une panique collective. Les antécédents de scandales sanitaires, tout d’abord, autour de médicaments dont les dangers ont été longtemps cachés comme le Mediator. Le flot d’information et de témoignages inondant les réseaux sociaux et Internet à chacune de ces affaires ne peuvent que nourrir les inquiétudes.

Ensuite, certains éléments biologiques propres au traitement de la thyroïde jouent. Car de faibles variations de dosage de l’hormone thyroïdienne, sans être graves pour l’organisme, suffisent chez certaines personnes à provoquer des symptômes anxiogènes, par exemple de la fatigue ou des palpitations. La mécanique de l’anxiété, aggravée par l’effet nocebo, peut alors se mettre en marche, avec cercle vicieux dans lequel les symptômes ressentis créent de la peur, aggravant elle-même les symptômes en retour.

 Pas des malades imaginaires

Il ne s’agit en rien de malades imaginaires, leurs symptômes existent bel et bien. Cependant une bonne part d’entre eux, comme les migraines ou les nausées, sont suscités par l’effet nocebo, l’inverse de l’effet placebo. Le mot fait référence aux troubles accompagnant la prise d’un médicament mais non liés à des effets pharmacologiques directs. Ils sont liés indirectement au médicament, du fait des craintes du patient à son égard, ou simplement de l’image négative qu’il peut en avoir. Cet effet est scientifiquement reconnu. Il est observé dans de nombreuses études où les sujets reçoivent, sans le savoir ou même parfois en le sachant, une substance inactive et ressentent pourtant, dans plus de 15 % des cas, des maux de tête, des vertiges ou des troubles digestifs divers.

Et, tout comme l’effet placebo repose sur la production par l’organisme de diverses substances bien réelles, notamment les endorphines, l’effet nocebo s’accompagne de modifications cérébrales et hormonales attestant de sa nature physiologique, en plus de sa dimension psychologique.

Dans le cas du refus de vaccination, le phénomène est du même ordre, avec cependant une nuance : il s’agit d’un effet qu’on pourrait presque qualifier de nocebo par anticipation, et même par procuration dans le cas de parents s’opposant à la vaccination de leurs enfants. Les débats souvent passionnés et confus sur la potentielle toxicité des vaccins ont créé les conditions de l’anxiété ou au moins d’une méfiance maintenant latente et quasi généralisée.

L’appréciation des bénéfices et des risques des vaccins est par ailleurs biaisée par le fait qu’ils sont victimes de leurs succès initiaux. La plupart des maladies infectieuses graves s’étant raréfiées grâce à une très bonne couverture vaccinale, il est difficile aujourd’hui de comparer objectivement les avantages potentiels à des inconvénients redoutés, parfois surmédiatisés. Enfin, quand il s’agit d’enfants et plus encore de bébés, la réaction naturelle de peur des parents est plus forte – et se double de la volonté de les protéger. Engendrant ainsi des réactions avant tout émotionnelles.

Ces phénomènes de paniques sanitaires risquent de s’étendre, d’autant qu’ils sont exploités par certains de bonne ou de moins bonne foi, qu’ils soient médecins, politiques ou militants. Il est donc essentiel que les pouvoirs publics prennent la mesure de ce risque, en identifiant ses facteurs psychologiques et émotionnels et en anticipant les réactions, aussi bien au niveau individuel que collectif. Les explications viennent trop souvent après coup, comme la conférence de presse tardive de la ministre de la Santé, Agnès Buzyn, à propos du Lévothyrox. Et donc trop tard.

The ConversationDésamorcer le phénomène passe avant tout par l’écoute et l’information, seuls traitements réellement efficaces contre l’anxiété. Les principaux acteurs de cette prévention doivent être les médecins, les infirmiers ou encore les pharmaciens. Les professionnels de santé sont les premiers à être alertés des inquiétudes de la population, et on doit leur fournir les moyens d’y répondre au plus vite. Plus globalement, nous y gagnerions tous si la formation à la santé et la compréhension de la psychologie et des émotions humaines faisaient partie de l’éducation de tous les citoyens, à l’école notamment.

Antoine Pelissolo, Professeur de psychiatrie, Université Paris-Est Créteil Val de Marne (UPEC)

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.