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De Kyoto à Paris, à la recherche de l’efficacité climatique

Publié le 22 avril 2016

Article de Roman de Rafael, Doctorant en sciences économiques à l'UPEC, publié sur The Conversation France

Climat-Shutterstock
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le 22 avril 2016

Organisée fin 2015 à Paris, la COP21 a été saluée comme un rendez-vous décisif et c’est le texte de son accord que les États signent ce 22 avril 2016 à New York. Bien qu’elle s’inscrive dans la même logique « ascendante » (bottom up) – basée sur des objectifs nationaux témoignant d’efforts volontaires – que le sommet Copenhague (2009), réputé être un échec, le résultat de cette COP est perçu positivement.

Quelles évolutions les différentes phases des négociations climatiques ont-elles connues depuis le protocole de Kyoto en 1997 ? Ces évolutions témoignent-elles d’une plus grande efficacité dans la lutte contre les effets des changements climatiques ?
 

Kyoto, une contrainte toute relative

Le protocole de Kyoto est négocié en 1997, puis ratifié en 2005 du fait du retrait américain et des tergiversations russes. C’est une impulsion : il s’agit avant tout d’engager les États sur une trajectoire de réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES) dont la concentration dans l’atmosphère contribue à l’augmentation de la température moyenne sur Terre.

C’est pourquoi l’objectif collectif semble si peu ambitieux : les engagements nationaux sont fixés dans le cadre des négociations et l’objectif global est de – 5 % d’émissions en 2012 par rapport à 1990. Il est d’autant plus restreint qu’il ne concerne que 55 % des émissions de GES pour 55 pays. Au nom de la responsabilité commune mais différenciée, les pays émergents échappent à cette contrainte.

Kyoto épouse la théorie de Garrett Hardin, la « tragédie des biens communs », qui s’appuie sur une parabole s’inspirant de la théorie des jeux : deux éleveurs se partageant un champ auraient, sans l’existence d’une autorité extérieure garantissant la privatisation des pâturages et la mise en œuvre d’un mécanisme de suivi et de contrainte, un comportement court-termiste ; ils laisseraient leurs animaux consommer l’herbe très vite au lieu de s’entendre en vue d’une gestion durable des ressources. Le risque que le voisin « triche » et consomme tout le pâturage est trop grand pour que les deux éleveurs coopèrent.

Suivant cette logique, les COP de Montréal (2005) et de Nairobi (2006) mettent en place un dispositif de suivi et de contrainte, conformément à l’article 18 du protocole pour éviter que certains pays ne se comportent en « passagers clandestins », profitant des bénéfices issus des efforts collectifs sans en faire eux-mêmes. Les émissions doivent être mesurables, vérifiables et rapportées de manière transparente.

Les pays industrialisés sont dans l’obligation de fournir des informations quant à leurs rejets de GES et de s’engager à remplir leurs objectifs. Le non-respect entraîne des sanctions : blocage de l’accès au marché du carbone, obligation de prendre des mesures correctrices et celle d’ajouter aux objectifs post-2012 les émissions manquantes, auxquelles s’additionne une pénalité de 30 %.

On le voit, Kyoto et les COP qui suivent visent le développement d’un droit international de l’environnement s’appuyant sur des procédures de contrôle, des amendes et même des procédures d’appel.

Pourtant, le niveau de contrainte et son application sont dépendants des bonnes volontés nationales. Les États qui décident de se retirer du protocole ne peuvent pas faire l’objet de sanctions, à l’image du Canada puis du Japon qui décident de ne pas se réengager pour « Kyoto II » dans le cadre de l’amendement de Doha. La sanction en matière d’émissions est soumise aux négociations politiques des COP puisqu’elle s’exerce sur la seconde période d’engagement ; les États ont ainsi intérêt à négocier leur participation contre une remise à plat ou une décote.

Sanctionner en alourdissant les objectifs de réduction de GES reste d’autre part problématique : si un pays décide d’appliquer une politique de passager clandestin, alourdir ses objectifs de réduction est contre-productif et le pousse au retrait. Le niveau de contrainte inscrit sur le papier est donc tout relatif.
 

Des négociations plombées par les compromis

Kyoto portait en lui-même les germes de Copenhague. Pour que le protocole puisse passer en 1997, il a fallu beaucoup de compromis. Les pays de l’Est obtiennent par exemple des objectifs surévalués, basés sur une production industrielle d’avant la chute du mur de Berlin qui s’effondrera au cours des années suivantes. Cela leur permettra de vendre leur surplus de quotas, appelé « air chaud » à d’autres États.

Kyoto aboutit par ailleurs à l’absence d’objectif quantitatif contraignant pour les pays émergents. Il n’est donc pas surprenant que certains de ces États, à l’image de la Chine, aient particulièrement rechigné à se fixer des objectifs vérifiables, mesurables et transparents et aient invoqué leur droit au développement en 2009, puis en 2015.

L’« air chaud » et la non-implication des émergents, combinés au précédent du défaut américain (environ 30 % des GES mondiaux d’alors) et au contexte d’affirmation des émergents dans un monde multipolaire aboutissent en 2009 à l’accord de Copenhague (COP15).
 

Vers une contrainte de transparence

La COP15 n’a pas abouti à cet accord contraignant et cohérent avec les objectifs du GIEC qu’espéraient les ONG. Les États sont invités à informer la communauté internationale de leurs propres objectifs nationaux en annexe, la transparence et la vérification par la communauté internationale de la réalisation de ces objectifs sont déficientes et aucun mécanisme de sanction n’est prévu. L’annexe des objectifs nationaux est très loin d’un objectif à 2 °C et repousse à l’après 2020 les mesures d’atténuation les plus importantes pour lutter contre les effets du changement climatique.

En comparaison, l’accord de Paris introduit davantage de transparence et de régularité : les signataires partagent une communication nationale tous les 5 ans, celle-ci suit une méthode commune de mesure et de vérification. Les pays sont tenus de produire cette communication et ainsi d’appliquer les politiques qu’ils se donnent.

Si la COP21 représente un progrès en matière de transparence et d’information par rapport à Copenhague, aucun mécanisme de contrainte et de sanction pour non-réalisation des objectifs n’est prévu, contrairement au protocole de Kyoto.
 

Une partition Nord-Sud obsolète

Dépasser les catégories « pays industrialisés » et « pays émergents » a été essentiel pour qu’un accord climatique fasse sens. Le graphique ci-dessous permet de le comprendre. Il montre les principales tendances en émissions de CO2 issues des énergies fossiles : on comprend que l’émergence de la Chine et bientôt celle de l’Inde vont bouleverser la hiérarchie mondiale des émetteurs de CO2. En 2012, la Chine est devenue le premier émetteur de CO2 issus des énergies fossiles (27 %) devant les États-Unis (17 %).

Les émissions de CO₂ issues des énergies fossiles. IEA, Author provided

La communauté internationale s’est fixée collectivement à Paris un objectif « bien inférieur à 2 °C » de réchauffement climatique, mais « le fossé des émissions » demeure très important. Si les promesses de la COP21 se réalisaient, on s’orienterait vers un réchauffement supérieur à 3 °C, bien trop élevé pour nos capacités d’adaptation.
 

De l’importance la pression sociale

La « tragédie des biens communs » risque-t-elle de se réaliser en l’absence d’un régime climatique doté de sanctions crédibles ? Pas si sûr, tant la théorie de Garrett Hardin repose sur une modélisation jugée simpliste et critiquée par Elinor Ostrom en 1990.

Il y a en effet un décalage entre la théorie de Garrett Hardin et plusieurs dizaines de cas empiriques de gestion des ressources naturelles. Elinor Ostrom ajoute que le « jeu » des éleveurs de Garrett Hardin change du tout au tout si l’on introduit notamment la possibilité pour les acteurs de communiquer.

L’autogouvernance des « biens communs » – eau, forêt, ressources halieutiques, etc. – est possible lorsqu’une confiance entre partenaires est instaurée ; par exemple, avec l’introduction d’une communication transparente et une forme de sanction sociale. Un acteur ne trichera pas s’il a trop à perdre socialement et s’il sait que ses voisins jouent le jeu.

L’accord de Paris peut ainsi devenir efficace si les procédures de communication transparentes et régulières sont respectées et si la pression sociale sur les États est telle que les signataires aient intérêt à respecter leurs engagements. Il faut donc garder à l’esprit l’importance de cet engagement citoyen pour arriver à ce que des objectifs de plus en plus ambitieux et les financements promis soient déployés pour un monde bien en deçà du seuil des 2 °C.

The Conversation

Roman de Rafael, Doctorant en sciences économiques, LIPHA, Université Paris-Est Créteil Val de Marne (UPEC)

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.