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Comment l’école suédoise en découd avec Blanche-Neige

Publié le 21 décembre 2016

Article de Gabrielle Richard, Chercheur à l'UPEC, publié sur The Conversation France

L’histoire de Blanche-Neige est emblématique des biais genrés auxquels les enfants sont exposés dès leur plus jeune âge. Tookapic/Pixabay
L’histoire de Blanche-Neige est emblématique des biais genrés auxquels les enfants sont exposés dès leur plus jeune âge. Tookapic/Pixabay
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le 21 décembre 2016

Photo : L’histoire de Blanche-Neige est emblématique des biais genrés auxquels les enfants sont exposés dès leur plus jeune âge.   Tookapic/Pixabay

À l’école maternelle Nicolaigarden de Stockholm, les professeurs ne lisent pas Blanche Neige et les Sept Nains à leurs élèves. À la place du conte des frères Grimm, la bibliothèque est pleine de livres qui mettent en valeur une grande diversité de héros et de modèles familiaux (y compris des familles mono ou homoparentales, ou encore des familles où les enfants sont adoptés).

Parmi ces livres, il y a par exemple Encore une girafe, qui raconte l’histoire de deux girafes qui s’occupent d’un œuf de crocodile abandonné, ou encore Kivi et Monsterdog, dont le protagoniste (Kivi) est un enfant dont le genre n’est jamais spécifié. L’objectif, ici, est de montrer une version plus réaliste et plus nuancée du monde dans lequel vivent les enfants et d’éviter les représentations qui reproduisent les stéréotypes de genre.

Photo : Le genre de Kivi n’est pas spécifié dans l’histoire. S.B. Rights Agency

Ces histoires contrastent vivement avec les classiques de la littérature enfantine, comme Blanche-Neige et les Sept Nains, dont les représentations des femmes – et dans une moindre mesure, des hommes- ont récemment fait l’objet d’un examen minutieux. L’héroïne y est particulièrement naïve (elle se fait piéger deux fois par sa belle-mère) et manque de personnalité (ce sont les nains qui lui dictent sa conduite), tandis que la méchante marâtre est obsédée par son apparence.

Le Prince Charmant, quant à lui, vole au secours de sa future femme au tout dernier moment. Il n’est de toute évidence attiré que par son apparence physique, puisque, forcément, elle semble morte la première fois qu’il la voit.

À l’école Nicolaigarden, les professeurs ne se contentent pas d’éviter les histoires comme celle de Blanche-Neige. Comme quatre autres établissements suédois, cette école a complètement repensé son approche pédagogique afin d’assurer la plus grande égalité possible entre les sexes. Egalia, sans doute l’école la plus connue de toutes, a fait l’objet de nombreux reportages ces dernières années.

La pédagogie neutre est la dernière tendance dans la lutte contre les stéréotypes de genre en éducation, en continuité avec d’autres initiatives telles que les écoles non mixtes. Et en termes d’égalité des sexes en éducation, il semble que nous ayons beaucoup à apprendre des pays scandinaves.

Le modèle scandinave

La Suède est régulièrement classée parmi les pays les plus égalitaires du monde, au même titre que ses voisins scandinaves. Selon le rapport Global Gender Gap 2016 du Forum économique mondial, l’Islande, la Finlande, la Norvège et la Suède sont les pays qui parviennent le mieux à réduire le fossé qui sépare les hommes et les femmes en termes d’égalité sur le plan de l’éducation, de la santé, de l’économie et de la politique.

À l’école Egalia, les professeurs appliquent un modèle d’éducation non genré. Egalia

Bien que certains mettent en doute leur capacité réelle d’inclusion sociale, le succès des pays scandinaves en matière d’égalité des sexes est lié à l’efficacité des politiques publiques qui ont pris cette question à bras-le-corps.

En Suède, par exemple, les amendements de 1998 à la loi sur l’éducation demandaient aux écoles d’appliquer des directives éducatives en faveur de l’égalité des sexes. Selon ces amendements, il est de la responsabilité de l’école de donner des chances égales aux enfants, indépendamment de leur sexe, de lutter contre toute forme de discrimination fondée sur le sexe et de « contrecarrer les modèles traditionnels de genre ».

Afin de mettre en œuvre ces directives, les enseignants de Nicolaigarden ont filmé leurs interactions avec leurs élèves de six ans. Ils se sont rapidement aperçus qu’ils se comportaient différemment avec les garçons et avec les filles.

Photo : Un petit garçon s’occupe de sa poupée. Ms.Melissa,

A la récréation, ils laissaient les garçons se ruer dans la cour, tandis qu’ils demandaient aux filles d’attendre patiemment qu’on les aide à fermer leurs manteaux. Ils passaient plus de temps à réconforter les filles qui s’étaient fait mal, mais exhortaient les garçons dans la même situation à « retourner jouer ». Ces découvertes furent une vraie prise de conscience pour les enseignants, qui se considéraient comme des partisans de l’égalité entre les sexes.

Sous la direction de Lotta Rajalin, le personnel de l’école de Nicolaigarden a développé une pédagogie neutre en matière de genre, pour éviter aux enfants de se sentir limités par les attentes de genre.

Tous les élèves ont ainsi un accès équivalent à une même variété de jeux, de jouets et de costumes, dans un même espace. Les livres de la bibliothèque présentent la même proportion de héros que d’héroïnes « fortes ». Et grâce à la discrimination positive à l’embauche, Nicolaigarden compte jusqu’à 30 % de personnel masculin, soit la proportion d’hommes la plus élevée de toutes les maternelles du pays.

Le pronom suédois « hen » est adopté par certaines écoles ayant adopté une pédagogie neutre sur le plan du genre. Myskoxen,

Les écoles tentent également d’utiliser un langage neutre, afin d’éviter la qualification par le genre quand elle n’est pas nécessaire. Le pronom « hen » – une alternative non genrée à « hon » (elle) et « han » (il) – est l’une des nombreuses façons de se référer aux enfants. On privilégie aussi le mot « amis », ou plus simplement le prénom des enfants interpellés. D’autres écoles maternelles de Stockholm ont également adopté ces lignes directrices.

Mais le modèle scandinave d’égalité des sexes à l’école ne se limite ni aux initiatives en faveur de la neutralité de genre) adoptées par Nicolaigarden ou Egalia, ni aux jeunes enfants.

Constructions de genre

Le programme « L’usine à machos » (Machofabriken) propose aux écoles et aux associations une formation destinée aux jeunes de 13 à 25 ans. Son objectif est de les aider à interroger les normes de genre en vigueur et de rompre l’association systématique entre masculinité et violence.

Le programme de formation se fonde sur la diffusion de 17 courts métrages offrant aux participants et aux éducateurs une base de discussion au sujet du modèle de masculinité hégémonique.

Le court métrage På golvet (Sur le sol) est présenté au tout début de la formation. Les boîtes représentées dans le film sont une métaphore des attentes de la société quant à la façon dont les hommes devraient se comporter.

Comme l’adolescent du court-métrage, les adolescents ont tendance à adopter les attentes de genre qui les ciblent sans penser à les remettre en question ; bref, à s’enfermer eux-mêmes dans des conceptions de la masculinité ou de la féminité qu’ils n’ont pas forcément choisies. En mettant en évidence la construction sociale de la masculinité, « Machofabriken » offre aux adolescents les outils pour s’interroger sur les moyens de limiter l’emprise des normes dominantes de genre.

Les attentes de genre des enseignants

Les modèles mis en avant par des écoles comme Nicolaigarden et Egalia, ou dans des programmes tels que « L’usine à machos », soulignent des problèmes réels, documentés par des études sur l’expérience scolaire des filles et des garçons.

Des décennies de recherche fondées sur des observations en classe indiquent que les enseignants interagissent différemment avec les garçons et les filles, bien qu’ils soient convaincus qu’ils leur accordent un traitement égal. Ils font plus souvent appel aux garçons, les initient davantage à de nouveaux matériaux d’apprentissage et leur font un retour plus approfondi. Ils impliquent davantage les filles quand il est question de sujets sociaux ou de soutien à l’apprentissage, leur faisant répéter ce qui a été précédemment discuté. Même les comportements non verbaux des enseignants, comme les sourires, démontrent qu’ils favorisent les garçons par rapport aux filles.

Photo : Le sexe des anges de Raphael n’est pas précisé, mais à travers le monde, les enfants sont élevés différemment en fonction de leur sexe. Raphael

Les enseignants ne sont pas formés à la socialisation de genre, et ça se voit. Les biais dont ils peuvent faire preuve pénalisent tous les élèves. Selon une étude de 2013, les conceptions stéréotypées que les enseignants peuvent entretenir par rapport à leurs élèves jouent à la fois en faveur et contre les garçons.

Les chercheurs ont constaté que les garçons qui ont une attitude négative à l’égard de l’apprentissage obtiennent des notes plus basses que les filles qui se comportent de la même façon. Par contre, les garçons qui performent bien à l’école et qui montrent une attitude positive envers l’apprentissage ont de meilleures notes que les filles qui sont dans les mêmes dispositions. Les stéréotypes entretenus par les enseignants pénalisent également les filles. Si les enseignants s’attendent systématiquement à ce que les filles se comportent en bonnes élèves, ils risquent de ne pas prêter attention à celles qui ont des problèmes de comportement ou même de se montrer plus intransigeants envers elles.

« Nos enfants ne sont pas neutres »

Les initiatives visant à créer des environnements plus neutres pour les enfants sont souvent sévèrement critiquées. En 2015, par exemple, la chaîne de magasins américaine Target a décidé de supprimer le rangement par sexe du rayon jouets, en optant plutôt pour le classement par type de jouet (comme les jeux de construction ou les déguisements). Le révérend évangéliste chrétien Franklin Graham a réagi à cette initiative en disant : « Nos enfants ne sont pas neutres, ils sont garçons et filles comme Dieu les a créés ». Il a demandé à ses disciples de boycotter les magasins en question.

En France, les magasins Système U ont lancé en 2015 une campagne publicitaire de Noël intitulée « Noël sans préjugés ». Elle montre des enfants qui expliquent comment ils savent qu’un jouet est destiné aux garçons ou aux filles.

Un Noël débarrassé du genre.

Cette annonce, diffusée à l’échelle nationale, a placé la chaîne au centre d’une tempête sur Twitter en décembre 2015, sous les hashtags #NoëlSansSystèmeU et #BoycottSuperU. Les détracteurs des initiatives qui privilégient la neutralité en matière de genre ont tendance à dire qu’un enfant est soit un garçon soit une fille, et que cette différence doit nécessairement impliquer des préférences distinctes.

En lisant entre les lignes, on peut discerner une certaine appréhension, à savoir la crainte que ces initiatives encouragent l’homosexualité, surtout chez les jeunes garçons. « Un petit garçon qui joue a la poupée et qui se maquille ça ne te choque pas ! Moi si ! Réveillez vous bordel ! » disait un tweet après la campagne publicitaire de Système U.

D’autres commentaires suggèrent que de telles initiatives mènent à une regrettable confusion entre les sexes. Cela ressort clairement des tweets qui commentent le travail mené par Egalia : « Voilà qui est pathétique, mais surtout triste. Donc, un enfant n’est plus « lui » ou « elle », mais « cela » ? Et encore : « Il s’agit d’une expérience menée sur toute une génération d’enfants. Je ne peux pas m’empêcher de penser que nous allons voir grandir beaucoup d’individus désorientés ».

De tels commentaires ne tiennent pas compte du fait que ces initiatives n’imposent pas plus de modèle aux enfants que les magasins peuvent le faire, quand ils indiquent que tel jouet est destiné aux filles et tel autre aux garçons. Ces initiatives en faveur de l’égalité des sexes ne les perturbent pas plus que les injonctions genrées à se comporter de telle ou telle manière, même quand cela ne leur convient pas.

The ConversationUne partie du succès de l’approche dite scandinave en matière d’égalité entre les sexes réside peut-être dans sa volonté de remettre en question et de mettre au jour le rôle de chacun dans l’imposition des attentes du genre.

Gabrielle Richard, Chercheur, Université Paris-Est Créteil Val de Marne (UPEC)

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.