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Cybersexisme à l’école : quels enjeux sociaux et éducatifs ?

Publié le 18 octobre 2016

Article de Sigolène Couchot-Schiex et Benjamin Moignard, Maîtres de conférences à l'UPEC, publié sur The Conversation France

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le 18 octobre 2016

Depuis le début des années 2010, les cyberviolences commencent à émerger en tant que préoccupation sociale à la fois dans les médias, les écoles, les familles. Plusieurs enquêtes montrent une pratique marquée de cybersexisme à l’égard des filles dans les collèges. Pourquoi et comment ? C’est tout l’enjeu de la première étude française réalisée par une équipe de l’‘Observatoire universitaire international éducation et prévention de l’Université Paris-Est Créteil, au cours de l’année 2015-2016 dans 12 établissements répartis dans les trois académies franciliennes auprès de jeunes de 12 à 16 ans des classes de 5e à 2nde. Cette enquête a servi d’étayage scientifique à la grande campagne de lutte contre le cybersexisme lancée le 27 septembre 2016 en France.
 
Spot de la campagne contre le cyber sexisme
Des pratiques sociales numériques ancrées dans le quotidien

Il est certain que l’équipement en téléphones portables, tablettes ou ordinateurs individuels n’est pas étranger à leur multiplication, mais suffit-il à expliquer ce phénomène ? Ces objets connectés rassurent tout d’abord les parents en facilitant l’organisation familiale. Ils offrent aussi un formidable espace de nouvelles pratiques sociales et de création dont se sont largement emparés les jeunes.


C’est de plus en plus tôt que les adolescents apprennent à être en relation avec les autres par le numérique, augmentant le réseau des relations exercées en présence.

Le cyberespace et l’espace en présentiel (en face à face) ne constituent qu’un même espace de relations. Ils s’organisent l’un l’autre, simultanément, comme les deux plans d’un même réseau relationnel, interagissant en permanence et démultipliant les interactions entre jeunes. La nature des interactions échangées concerne tous les aspects de la vie adolescente : le contenu des assiettes, les potins et rumeurs, les blagues, moqueries ou insultes et bien sûr les premiers échanges sur la vie amoureuse, la sexualité.

Finalement, l’intégralité de la vie adolescente est quotidiennement expérimentée en personne, mais aussi rapportée, commentée, transcrite via les outils numériques. Les adolescents s’engagent dans ces pratiques, en apprennent les modalités et les usages, y vivent des situations diverses non exemptes de petites incivilités ou de grands outrages, desquels ils peuvent tour à tour être victime, agresseur/agresseuse ou témoin.

Un collégien sur cinq victime de cyberviolence

Or, d’après les études scientifiques, un collégien sur cinq rapporte être victime de cyberviolence. Les données d’une enquête nationale menée en 2014 montrent que les filles sont davantage touchées que les garçons, dans des proportions qui alertent les acteurs éducatifs (21,1 % des cyberviolences contre 15,5 % pour les garçons).

Un collégien sur 5 rapporte avoir été victime de cyber-violences

Quels sont les éléments participant à cette différence notoire ? Quelle compréhension peut-on avoir de ce problème ? Les résultats de notre enquête confirment le plus grand nombre de violences à caractère sexiste et sexuel dont sont victimes les filles, mais dont ne sont pas exclus les garçons. Ces résultats feront l’objet d’articles qui suivront prochainement.

Le virtuel n’est pas invisible, il est bien réel !

Le constat essentiel est que le sexisme – traduit par les blagues, les moqueries, les rappels à l’ordre, les jugements, les humiliations, les gestes de mime sexuel ou les attouchements – ne s’arrête pas à la porte de la classe ou au portail des établissements scolaires. Ce type d’interactions se poursuit sur les réseaux sociaux où il prend même de l’ampleur, de la force, se démultiplie par la viralité des posts relayés sur les réseaux, diffuse et impacte l’expérience scolaire des jeunes. On se quitte bon-ne-s ami-e-s le soir, on se retrouve fâché-e-s le lendemain matin et prêt-e-s à en découdre, générant des échauffourées dans la cour ou les couloirs. Le passage de rumeurs ou d’incidents par le cyberespace engendre un effet démultiplicateur qui se donne à voir par l’imbrication des espaces de violence.

« Il faut savoir que maintenant, c’est une génération où Internet a pris le dessus. Quand une photo est postée sur Internet, ça veut dire que ça va être un enfer. (La personne) va recevoir des insultes, peut-être même des menaces style : « Je l’envoie à des personnes de ta famille ». Ça peut aller très, très loin. Ça peut être très dangereux.»  Élève de 4e que nous appellerons Diana

Les violences à caractère sexiste et sexuel se déploient par vague et temps successifs dans le cyberespace et l’espace présentiel, parfois au prix de la rupture des relations de confiance (entre amoureux, ami-e-s). Des pressions peuvent être exercées entre individus, le plus souvent de la part d’un garçon envers une fille, mais pas seulement. Les outils numériques offrent de nouveaux instruments permettant la collecte d’informations compromettantes, de « dossiers » facilitant l’exercice d’une pression indue sur les victimes, par des menaces ou du chantage.


Les messages échangés réaffirment les normes des comportements attendus pour les filles et pour les garçons, émettent des jugements virulents sur certains comportements perçus comme inacceptables car ils ne correspondent pas aux normes de sexe et de sexualité. Ce faisant ces échanges sont l’expression d’un sexisme qui s’exerce aussi dans le cyberespace : d’un cybersexisme.

Et les adultes dans tout ça ?

Les élèves victimes de cyberviolence ont du mal à se confier à un adulte, que ce soit dans la famille ou dans l’établissement. Ils craignent, et les filles d’autant plus, d’être jugées et culpabilisées pour leurs actions quand elles ont un caractère sexuel car les adultes ont du mal à considérer les pressions qu’elles ont subies. Dans le cas de harcèlement, les jeunes craignent que la seule réponse des parents soit la confiscation du smartphone, inenvisageable pour eux.

« Les [adultes] nous disent de désinstaller notre compte. C’est énervant. Donc du coup, je ne le dis à personne ! […] Nous, on est devenu accros à ces réseaux sociaux. On ne peut pas vivre sans une journée ! »
Élève de 4e que nous appellerons Isabelle

Les résistances au recours aux personnels des établissements scolaires reposent sur la crainte de rupture de confidentialité, la croyance en leur faible compréhension et empathie, faible capacité d’action, la crainte de donner une image de soi qui ne corresponde pas au statut d’élève… Il n’est pas facile de parler de harcèlement sexuel aux adultes.

« C’est plutôt un truc, on va dire, pour les jeunes. Les [adultes] Ils ne vont peut-être pas comprendre ce qu’on raconte et ce qu’on ressent. »
Élève de 4e que nous appellerons Erika

Repérer le cybersexisme

Si les cyberviolences ne sont pas faciles à identifier, le cybersexisme l’est encore moins car le sexisme ordinaire masque la réalité des violences que subissent les victimes dont il ne faut pas minorer les effets en les renvoyant à une forme d’apprentissage de la vie… Se faire insulter de « pute » ou de « salope » ne doit pas faire partie des apprentissages de la vie pour les adolescentes.

Les signaux du cybersexisme sont ténus, peu saisissables, mais peuvent jaillir violemment sans signe précurseur.

L’auto-diagnostique constitue un outil utile pour les établissements. Une fois repéré, il faut prévenir, agir dans tous les espaces de la vie sociale des jeunes et pour cela il faut former les professionnel-le-s et informer les familles. Dans son rapport, l’équipe de recherche a formulé 15 recommandations pour mieux réfléchir et prendre en charge les violences sexistes et cybersexistes sans oublier ce qu’ont à dire les adolescent-e-s.

The Conversation

Sigolène Couchot-Schiex, Maitre de conférences, Université Paris-Est Créteil Val de Marne (UPEC) et Benjamin Moignard, Maître de conférence, LIRTES, OUIEP, Université Paris-Est Créteil Val de Marne (UPEC)

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.