• Recherche,

Des écosystèmes qu’on sélectionne comme des variétés cultivées

Publié le 21 octobre 2015

Les chercheurs de l’Institut d’écologie et des sciences de l’environnement de Paris (UPEC/CNRS/UPMC/INRA/IRD/Université Paris Diderot) viennent de démontrer que la sélection artificielle peut s’appliquer non seulement à des organismes mais également à des écosystèmes entiers, en modifiant les interactions que les espèces établissent entre elles. Ce travail a fait l’objet d’une publication récente dans la revue Ecology Letters.

Date(s)

le 21 octobre 2015

On entend par « écosystèmes » quelques dizaines de microlitres dans lesquels vit une communauté microbienne abondante et diversifiée. Le choix de ce type d’écosystème extrêmement petit et facilement manipulable a permis à Manuel Blouin, Thomas Lerch,  Jérôme Mathieu et à Battle Karimi, de sélectionner jusqu’à 7560 écosystèmes. Ce nombre élevé leur a permis d’atteindre une rigueur statistique jamais égalée.

Le principe de base est, comme pour la sélection de variétés cultivées, de sélectionner au sein d’une génération les organismes, ici les écosystèmes, qui présentent une caractéristique jugée intéressante, ici à faibles émissions de CO2. Il est alors possible de prendre un petit volume de l’écosystème « parental » afin d’inoculer de nouveaux écosystèmes « descendants » pour créer la nouvelle génération d’écosystèmes. L’opération est ensuite réitérée jusqu’à ce que la caractéristique intéressante soit stabilisée.

Les résultats permettent d’affirmer qu’il est possible de sélectionner des écosystèmes qui émettent de moins en moins de CO2, du fait d’une diminution de la biomasse au cours des générations. Les petites différences d’émissions de CO2 observées au sein d’une génération sont dues à l’effet d’échantillonnage, c’est-à-dire aux petites variations dans la taille de la population des différentes espèces au sein du volume d’écosystème « parental ». Ces petites variations se sont néanmoins révélées fortement héritables.

D’après la sélection darwinienne au niveau individuel, si un organisme avait été sélectionné, et non un écosystème, on aurait pu s’attendre à ne retrouver qu’une seule espèce à la fin de la sélection : celle qui émet le moins de CO2. Toutefois, il n’en est rien : le nombre d’espèces reste élevé. On observe même un nombre identique d’espèces dans le traitement où les écosystèmes sont sélectionnés pour leurs faibles émissions de CO2 par comparaison avec un traitement témoin où les écosystèmes sont reproduits sans tenir compte de leurs émissions de CO2 (choisis au hasard).

Il est également possible d’étudier comment s’organisent les espèces des écosystèmes sélectionnés par l’analyse du réseau de cooccurrence, qui permet de déduire les liens entre espèces d’après leurs abondances relatives. Cette analyse révèle que les espèces des écosystèmes témoins sont bien connectées entre elles, tandis que celles du traitement avec sélection sont moins connectées, formant plusieurs petits groupes isolés les uns des autres ; autrement dit, on a sélectionné des espèces « antisociales ».

Une interprétation probable serait qu’il existe de nombreux liens trophiques dans les écosystèmes témoins, avec recyclage des déchets d’une espèce par une autre. Dans les écosystèmes sélectionnés, les espèces ont perdu cette organisation qui favorise le recyclage. Puisqu’elles coopèrent moins, ces espèces antisociales seraient moins efficaces pour dégrader les ressources dont elles disposent, émettraient moins de CO2 et produiraient moins de biomasse.

Les perspectives de cette expérience sont nombreuses.

Sur un plan théorique, il s’agirait d’intégrer la variabilité qui émerge au niveau d’un écosystème dans des modèles de génétique qui ne prennent actuellement en compte que la variabilité entre individus. Il serait également intéressant d’utiliser ce dispositif expérimental pour analyser ce qui différencie une communauté hospitalière (qui accepte facilement l’introduction d’une espèce venant de l’extérieur) d’une communauté inhospitalière, et ainsi mieux comprendre les règles d’assemblage des communautés.

Sur un plan appliqué, la sélection artificielle d’écosystèmes permet d’envisager une alternative efficace à la sélection de souches pures de microorganismes ou à la création d’OGM pour réaliser une fonction donnée, comme la dégradation d’un polluant ou la synthèse d’une molécule. Cette approche pourrait se révéler efficace en particulier dans des environnements clos de type bioréacteur industriel.

A propos des chercheurs

Manuel Blouin et Thomas Lerch sont Maîtres de Conférences à l’Université Paris Est Créteil. Jérôme Mathieu est Maître de Conférences à Sorbonne Universités, Université Pierre et Marie Curie. Tous trois font partie de IEES Paris.
Battle Karimi est actuellement en thèse au laboratoire « Chrono-environnement », UMR CNRS 6249 en co-tutelle avec l’Université Franche-Comté.