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Réforme territoriale : le point de vue du géographe Daniel Béhar

Publié le 21 mars 2016

Daniel Béhar, chercheur au Lab’Urba, livre son éclairage sur la réforme des territoires. L’occasion de préciser ce que change cette recomposition de la carte régionale... et ce qu’elle ne change pas.

Date(s)

le 21 mars 2016

Que recouvre la réforme territoriale ?

La loi NOTRe (Nouvelle Organisation Territoriale de la République) d’août 2015 porte sur la répartition des compétences entre pouvoirs locaux ; et elle confie de nouvelles compétences aux régions. Elle constitue le  troisième volet de la réforme des territoires, après la loi de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles (Loi MAPTAM de 2014, créant les métropoles) et la loi de janvier 2015 relative à la délimitation des régions, qui a procédé au redécoupage de celles-ci (13 régions métropolitaines contre 22 auparavant).

Comment en appréhender la nouveauté ?

Pour bien comprendre les enjeux de cette réforme, il faut rappeler quelques éléments historiques sur la construction de l’architecture des pouvoirs en France, issue de tensions entre jacobins centralisateurs et girondins.
Les révolutionnaires ont eu la volonté «de « projeter au sol » l’égalité républicaine, de casser les identités anciennes. Ce modèle « antirégionaliste », construit en grande partie sur une citoyenneté abstraite et un carroyage des départements, a été contesté dès la 3ème République par tout un courant moderniste, soucieux d’adapter la géographie au pays réel. Plus proches de nous, les années 1950 ont vu la création des régions comme lieux de programmation stratégique, de planification, puis les années 1960 ont vu leur transformation en collectivités locales.
La combinaison des deux lois de 2015 constitue une nouvelle étape dans cette tradition modernisatrice à la française.

Quel contour revêt cet idéal modernisateur ?

Le contour est double.
Depuis les années 1960, le but a été de simplifier le paysage institutionnel et de l’organiser aux niveaux adéquats. Une architecture centrée sur les régions et sur une armature d’intercommunalités urbaines a été mise en avant. Avec les lois récentes, il s’agit de radicaliser cette tendance. Comment ? En faisant passer le nombre de régions à treize, en instituant quatorze métropoles, et en ajustant les intercommunalités aux bassins de vie, avec un seuil de 20 000 habitants.
Une seconde ligne de force de cette modernisation vise à contrecarrer la grande puissance des 36 000 communes, et de rationaliser les fonctions respectives des autres niveaux de pouvoir local, avec un partage des compétences sur le mode de la spécialisation (qui était à la base des lois de décentralisation de 1982).

Peut-on s’attendre à un renforcement de la régionalisation des pouvoirs ?


Les régions ont cherché à se fabriquer sous forme de petits « Etat-nation », possédant à la fois une identité territoriale et se dotant d’une action publique en cohérence. Depuis les lois de décentralisation, les pouvoirs régionaux ont essayé de créer une identité régionale. Mais seules l’Alsace et la Bretagne y sont réellement parvenues, en s’appuyant sur un socle culturel et historique préexistant.
Pour les nouvelles « régions XXL » à l’identité régionale moins affirmée, plus composites, la perspective sera peut-être de ne pas chercher à servir le seul développement local, mais plutôt de contribuer au développement national. Ainsi, la région « grand Est » peut revendiquer un accès direct à quatre pays européens limitrophes, devenir LA région frontalière européenne  et cultiver ainsi un rapport plus étroit à l’Etat central.
On peut peut-être voir des signes de cette évolution possible dans les ambitions de l’Association des régions de France, dans le fait que de nouveaux élus régionaux (comme Xavier Bertrand) renoncent à leurs autres mandats pour se consacrer à la présidence de Région.

En France, le modèle reste celui de l’Etat-nation. La France est un Etat unitaire, pas fédéral comme l’Allemagne ou l’Espagne.
En même temps, avec la montée du vote protestataire et la crise politique que nous connaissons, les élus cherchent à se rapprocher du terrain et chez certains, germe une véritable « folie de la proximité ».
Or la région n’a pas de compétences de proximité. C’est une instance de développement économique, qui a en charge la planification et la programmation (seuls les mots ont changé).

La loi ne renforce-t-elle pas cette compétence régionale ?

Dans la loi NOTRe, le législateur n’a renforcé la compétence économique des régions qu’en matière d’aide directe aux entreprises (et à l’exception des aides foncières et immobilières). Quand il s’agit de mettre en oeuvre concrètement une politique économique, ce sont les communautés d’agglomération et les intercommunalités qui sont en pointe, pas les régions.

Comment voyez-vous s’organiser sur le terrain la recomposition territoriale ?

Au-delà de la seule opportunité politique de la réforme portée par le Président Hollande, les nouvelles lois ont un effet indirect indéniable, en forçant les échelons locaux à se recomposer.
La loi NOTRe peut être lue comme un mouvement de dilatation de l’intercommunalité. Bien loin de l’objectif initial qui était de créer pour ces regroupements un seuil à 20 000 habitants, les élus locaux fabriquent actuellement de très grandes intercommunalités, à plus de 50 communes. On voit même une intercommunalité unique à 158 communes, regroupant le pays basque.
Cela donne naissance à un phénomène nouveau, les intercommunalités mixtes : urbaine et rurale.

Quelles dynamiques de changement percevez-vous ?

La loi NOTRe, qui a spécialisé les compétences de chaque échelon de pouvoir, l’a fait de manière un peu artificielle. Séparer dans l’action publique le secteur du transport de celui de l’habitat n’a pas beaucoup de pertinence opérationnelle.
De même, la loi attribue le développement économique à la Région, mais en réalité, cela reste une compétence partagée entre les villes et la région.
De même, le département, plus « spécialisé » dans le secteur social, a aussi comme compétence la solidarité territoriale, donc l’économie sociale et solidaire... et par conséquent s’occupe aussi d’économie, pourtant compétence de la région...

En tant que citoyens, nous souhaitons tous une certaine rationalisation de l’organisation territoriale, soucieux en tant que contribuables de faire des économies. Mais nous élisons des personnels politiques ayant un mandat global et pas du tout sectorisé.

Qui va porter la modernisation désormais ?

Depuis cinquante ans, la Région a rempli ce rôle. Les années 80 ont vu la montée en puissance d’une 2ème figure de cette modernisation : les villes.
Je crois que les deux « niveaux » vont la porter désormais, avec parfois des conflits de leadership territorial, et ce même avec des élus de couleur politique identique (comme entre Jean-Paul Huchon et Bertrand Delanoë par exemple).

Les deux faits majeurs que sont la récurrence de la modernisation par la régionalisation et le renforcement du pouvoir des grandes métropoles urbaines adossées aux communes vont continuer à se développer de manière simultanée, avec des combinaisons variables selon les territoires.
Cette dualité présente d’ailleurs un risque : celui de conforter la représentation - largement discutable - de la fracture territoriale, avec d’un côté des métropoles profitant de la dynamique des villes, et de l’autre des Régions s’occupant des territoires oubliés, une « France périphérique » selon la thèse du géographe Christophe Guilluy.

En réalité, les différents niveaux de pouvoir sont pour moi condamnés à s’entendre. Le développement de l’enseignement supérieur et de la recherche par exemple passe par des politiques et des financements combinés Région/Métropole.

Comment se présente l’avenir ?

C’est une question très ouverte.
Il n’y a plus une pertinence unique et absolue sur ce que serait le bon périmètre. La multiplicité des compromis a réduit la radicalité de la réforme et brouillé son sens. Mais la loi a permis de rebattre les cartes. Il y a à la fois une forte aspiration à aller vers un échelon plus englobant pour être à la hauteur des flux et des échanges qui traversent les territoires, et la volonté de valoriser des ressources subjectives et identitaires d’appartenance à un territoire.

Une dynamique s’est enclenchée, avec des effets en cascade et différentes recompositions. Les deux départements du Haut-Rhin et du Bas-Rhin souhaitent fusionner... pour « reconstituer » l’Alsace. Les deux Savoie envisagent de faire de même.
La Région Nord Pas de Calais Picardie elle est tiraillée entre une double métropolisation : en direction de l’Ile de France et, au-delà de Lille, en direction de la vaste aire métropolitaine nord-ouest européenne.

La nouvelle carte territoriale n’est clairement pas un aboutissement mais un début.