Harcèlement sexuel à l’école : est-ce la faute des réseaux sociaux ?

Publié le 19 octobre 2016

Article de Benjamin Moignard et Sigolène Couchot-Schiex, Maîtres de conférences à l'UPEC, publié sur The Conversation France

Hodebert - Nymphe qui pleure
Hodebert - Nymphe qui pleure
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le 19 octobre 2016

Photo : D'après l'enquête menée, un tiers des adolescentes ont été confrontées à des gestes sexuels non sollicités. Nymphe qui pleure, 1906 par L. Hodebert. 


« C’est la faute aux réseaux sociaux ! ». Parents, animateurs, professeurs, CPE, personnels de direction : tout adulte en relation avec des adolescents constate la large place que les outils numériques ont pris dans leur vie. Ils sont partout, tout le temps, marquant des formes d’intrusions nouvelles dans la sphère familiale, scolaire ou privée.

La recherche en éducation dresse pourtant un tableau nuancé de l’impact des usages numériques des jeunes et de leurs effets sur leur socialisation ou leur scolarité. Mais les nouveaux coupables des dérives adolescentes sont tout trouvés pour nombre d’adultes : indomptables réseaux sociaux, téléphones à bout de doigts, violences à portée de clic.

Nous avons conduit une enquête qui interroge la place du numérique dans la construction des violences que subissent les jeunes. Cette enquête de l’Observatoire Universitaire International Éducation et Prévention, financée par le Centre Hubertine Auclert, sous la direction de Sigolène Couchot-Schiex et Benjamin Moignard, vise à mieux comprendre l’expérience des élèves en matière de cyberviolences (Blaya, 2013), et s’est focalisée plus précisément sur les violences à caractère sexiste et sexuel.

Elle s’appuie sur l’utilisation de méthodologies croisées, mais nous ne retiendrons ici que quelques-uns des résultats saillants de l’enquête par questionnaire menée auprès de 1 257 élèves répartis dans 12 collèges et lycées de la région île-de-France.

Une expérience positive de l’école

Nos résultats confirment une constante des enquêtes sur les questions de violences à l’école depuis près de 20 ans : les élèves se sentent globalement bien à l’école. Notre échantillon confirme les résultats d’autres enquêtes bien antérieures. 94,7 % des élèves se sentent bien en classe, 81,7 % se sentent en sécurité dans l’établissement, 91,8 % apprécient positivement les relations entre pairs. Ces appréciations sont similaires pour les filles et pour les garçons, et confirment le fait qu’une très grande majorité d’adolescents ont une expérience de la vie à l’école largement positive.

Est-ce à dire que l’expérience des filles et des garçons en termes de violences à l’école ou en ligne est la même ? Les différences entre les sexes sont notables à propos des rumeurs et de la mise à l’écart, qui touche davantage les filles (37,2 % contre 21,2 % pour les garçons).

Photo : Le harcèlement touche différemment les filles et les garçons. Image extraite du film Rebecca of Sunnybrook Farm.

Cet indicateur rend compte d’une forme de contrôle social différencié suivant les sexes, exercé par les pairs (filles et garçons), à propos de la manière de se présenter et de se conduire socialement.

Les filles subissent plus fortement ce contrôle social collectif que les garçons, ce qui va dans le sens de l’exercice d’un sexisme ordinaire visant à maintenir les individus dans les normes de comportement attendu. Ce sexisme s’exerce plus étroitement à propos des filles, incitant ces dernières à développer des pratiques d’autocensure, face auxviolences de genre liée à la sexualité, réelle ou fantasmée des adolescents. En d’autres termes : ces résultats témoignent de la nécessité qui est faite aux filles de rester à la place qui leur est assignée.

Les pratiques en ligne ne sont pas le premier vecteur de violence

L’enquête est claire sur un point essentiel : l’expérience victimaires des élèves en ligne est relativement réduite, même si certaines expériences peuvent être traumatiques pour l’ensemble d’une communauté éducative. Ce sont 98,5 % des élèves qui signalent n’avoir jamais été confrontés à des insultes homophobes en ligne.

Photo : Le harcèlement, notamment à caractère sexuel, est avant tout présent dans l’espace physique, et traduit une violence de plus en plus ordinaire. Elisabeth21, CC BY-NC-ND

Ils sont 6,3 % à signaler des moqueries à propos de la réputation et 11,3 % à avoir subi des insultes liées à leur façon de s’habiller. La diffusion de photos ou vidéos intimes est rare, et la captation sans consentement relève de l’exception avec toutefois une tendance majorée à l’encontre des filles.

La différence filles/garçons est nettement plus significative pour la communication à caractère pornographique : 16 % des filles et 10 % des garçons qui rapportent avoir reçu au moins un texto porno ou une photo les mettant mal à l’aise ou avoir reçu au moins une photo ou une vidéo porno. Même si ces pratiques doivent être considérées, nous sommes loin cependant de l’explosion de cas évoqué par certains professionnels.

En revanche, sur l’ensemble des variables comparables, la proportion d’élèves victimes est toujours plus importante en présentiel qu’en ligne. Sur les violences à caractère sexuel, les proportions sont non seulement significatives en présentiel, mais c’est aussi sur ce type de victimation que l’écart avec les garçons est particulièrement élevé. Ce sont ainsi 14 % des filles qui signalent avoir subi des attouchements sexuels (toucher les seins, les fesses ou les parties génitales sans consentement), contre 6,7 % de garçons.

Photo : 14 % des adolescentes enquêtées ont été confrontées à des attouchements sexuels non désirés. Gaelx/Flickr, CC BY-NC-SA

Ce sont aussi près d’un tiers des filles qui disent avoir été confrontées à des gestes sexuels qui les ont mises mal à l’aise. L’idée très répandue selon laquelle les pratiques en ligne sont devenues le premier vecteur de confrontation à la violence n’est pas tenable. C’est bien dans l’espace physique ordinaire que continuent de s’organiser des formes de socialisation que la sphère numérique prolonge.

Aussi, les seules réponses techniques ou l’idée d’une impossibilité d’agir sur ces inaccessibles réseaux sont sans doute décalées avec la réalité. L’action reste possible, et passe par un combat décisif sur deux fronts unis : la prévention et la réduction de la violence sous toutes ses formes, la lutte contre un sexisme d’autant plus insidieux qu’il est devenu, au vu de cette étude, bien trop ordinaire.

The Conversation

Benjamin Moignard, Maître de conférence, LIRTES, OUIEP, Université Paris-Est Créteil Val de Marne (UPEC) et Sigolène Couchot-Schiex, Maitre de conférences, Université Paris-Est Créteil Val de Marne (UPEC)

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.