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L’enfance, que l’on prétend protéger, est en danger

Publié le 1 avril 2016

Article d'Hélène Romano, Docteur en psychopathologie à l'UPEC, publié sur The Conversation France

La protection des mineurs en question. Shutterstock
La protection des mineurs en question. Shutterstock
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le 1 avril 2016

La protection de l’enfant pourrait paraître une évidence et ce d’autant plus, en France, pays des droits de l’homme, de la liberté et de l’égalité. Or, sur le terrain, la protection de l’enfant n’a jamais été aussi mise en danger car au-delà des grands discours politiques, les enfants maltraités sont très loin d’être protégés comme ils le devraient.

Accusés d’êtres des menteurs, des affabulateurs, d’être manipulés ou aliénés ; d’avoir de faux souvenirs, une mémoire lacunaire ou des souvenirs trop précis, les enfants violés, agressés physiquement ou psychologiquement, continuent de voir leur vie massacrée alors que nous avons aujourd’hui les moyens de les repérer et que nous connaissons les désastres auxquels conduisent de tels actes à l’âge adulte.
 

Dynamiques de perversion

Comment expliquer une telle régression après toute l’énergie déployée dans les années 1980 par les professionnels et les associations pour que les enfants maltraités ne soient plus condamnés au silence et aux violences subies ? Il y aurait sans doute différentes réponses à apporter à cette question complexe, mais une des explications envisageables est celle de l’infiltration de notre société par des dynamiques qui pervertissent les fonctionnements individuels et institutionnels.

La perversion consiste en une jouissance destructrice qui réduit l’autre à l’état d’objet. Cela se traduit par le fait de détourner les lois et à les transgresser en agissant par des stratégies où ils se positionnent comme victimes alors qu’ils sont les auteurs des violences. Ces fonctionnements ne sont pas nouveaux, mais ils n’ont jamais eu une telle place dans notre société et constituent un problème majeur en particulier dans la prise en charge de la maltraitance.
 

Méconnaissance du développement de l’enfant

Une seconde explication peut être celle de la méconnaissance persistante du développement de l’enfant chez les professionnels chargés de s’en occuper et du recours à des experts sans aucune spécialisation en pédopsychiatrie et en victimologie.

Les connaissances actuelles sont pourtant multiples et désormais facilement accessibles via les publications qui en sont faites. Mais de nombreux professionnels persistent à refuser de prendre connaissance des savoirs établis et continuent d’intervenir selon des croyances ; voire des idéologies simplistes et simplificatrices qui ne font que « sur-victimiser » l’enfant.

Que signifie ce terme ? Par exemple dire à un enfant qui vient de révéler une situation d’inceste « ne t’inquiète pas, ça va aller » ou « ce n’est pas de ta faute » alors qu’il vient de vous dire que c’est à cause de lui. Cela dénie totalement son expression et revient à lui dire « ce que tu crois, ce que tu penses, ce que tu dis n’a aucune valeur ». Les enfants maltraités sont atteints au plus profond de leur humanité et les professionnels devraient apprendre à travailler la nécessaire reconstruction de l’altérité qui passe par la reconnaissance de ce qu’est l’enfant et de ce qu’il a compris de ce qu’il subissait. Autrement dit, pour protéger un enfant maltraité il nous faut comprendre ce que lui a compris de sa situation et nous ajuster à lui. Par exemple, « quand tu me dis que c’est de ta faute, c’est très important » (autrement dit « tu as de la valeur »).

Comment prétendre bien évaluer, bien prendre en charge et assurer à l’enfant maltraité ce qui lui permettra de se reconstruire, en méconnaissant ce qu’il en est de la manifestation des troubles post-traumatiques, de la spécificité de leur expressivité dans le temps en raison de la mémoire traumatique, de la complexité du recueil de la parole de l’enfant, des enjeux des liens d’emprise avec les auteurs de maltraitance ?

Si les savoirs, pourtant établis dans ce domaine, continuent d’être ainsi méconnus, aucun accès à la compréhension de ce que peut subir et ressentir un enfant victime de maltraitance n’est possible. Et le pire est désormais possible.
 

On place les enfants au lieu de les écouter

Pour exemple, ces décisions très inadéquates et nocives concernant les enfants lors de conflits parentaux qui consistent à le placer plutôt que dénouer ce qu’il en est de la violence agie d’un des parents sur l’autre à travers les enfants ; ces milliers d’enfants placés par les services judiciaires dans un contexte d’inceste et qui continuent d’être contraints aux droits de visite de leurs parents pervers sous prétexte que le lien filial serait à privilégier. Ces enfants maltraités qui, par des passages à l’acte multiples (tentatives de suicide, fugue, violences auto-agressives), tentent en vain de faire comprendre à des juges, des thérapeutes, des éducateurs leur détresse et finissent trop souvent à la morgue.

Ultime exemple, les instrumentalisations perverses faisant suite à certaines affaires médiatiques, comme celle dite d’Outreau (où, rappelons-le, 12 enfants ont été reconnus victimes de viols). Depuis ce procès les enfants qui révèlent sont a priori des menteurs et l’attention portée à la parole des enfants maltraités est retombée au niveau qui existait au XIXe siècle où les témoignages des violences subies par des enfants étaient systématiquement disqualifiés.


Une vie est possible pour tous ceux dont la vie a été massacrée par des adultes censés les protéger. Mais pour y parvenir, sans s’y perdre, ils doivent pouvoir compter sur une société capable de les entendre et de les protéger. La France, après le recul de ces dernières années, en est aujourd’hui très loin.

Il n’est plus temps de se taire, mais grand temps d’agir pour que la protection de l’enfance ne soit plus une formule politique énoncée à grand renfort de communications pour se donner bonne conscience, mais une réalité ; et pour que les professionnels et les institutions concernés agissent non plus en sur-victimisant les enfants maltraités, mais en leur permettant de se reconstruire psychiquement et physiquement.

The Conversation

Hélène Romano, Docteur en psychopathologie, Université Paris-Est Créteil Val de Marne (UPEC)

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.