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Le système de santé français est-il toujours aussi solidaire ?

Publié le 8 octobre 2017

Article de Thomas Barnay, Professeur en sciences économiques à l'UPEC, publié sur The Conversation France

Le système de santé français est-il toujours aussi solidaire ?
Le système de santé français est-il toujours aussi solidaire ?
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le 8 octobre 2017

Photo : Soins remboursables… shutterstock.com, CC BY-SA 

Des critères de justice sociale ont présidé à la mise en place de la protection sociale en France, notamment pour la couverture du risque maladie. L’équité horizontale suppose ainsi que les patients peuvent bénéficier d’un même accès aux soins, à besoin de soin donné, et de manière totalement déconnectée de leur revenu. L’équité verticale requiert un financement identique pour une même capacité contributive ce qui sous-tend le caractère progressif du financement avec le revenu. Cette double solidarité entre les bien-portants et les malades d’une part et entre les riches et les pauvres d’autre part (« de chacun selon ses moyens, à chacun selon ses besoins ») fonde le système de santé français. Mais n’est-elle pas aujourd’hui fragilisée par la concentration de l’AMO (Assurance maladie obligatoire) sur le risque lourd et la montée en charge des financeurs privés ?

De prime abord, cette question semble incongrue tant la France est perçue, à raison, comme un pays particulièrement généreux en matière d’investissement public dans la santé. Les DCS (dépenses courantes de santé) représentent 11 % de son PIB, un ratio comparable à celui mesuré en Suède, en Allemagne, au Japon ou encore aux Pays-Bas (mais loin derrière les USA avec une proportion de 17 %). En 2016, près des quatre cinquièmes de ces dépenses sont prises en charge par l’AMO en France. Ce ratio élevé est particulièrement stable depuis 30 ans. Notons cependant que 13 pays de l’OCDE se caractérisent par un ratio légèrement supérieur, le niveau le plus élevé étant l’apanage de la Norvège (85 %).

Autre élément de comparaison internationale : le RAC (reste à charge) final (c’est-à-dire le montant restant à la charge du patient après remboursement de l’AMO et des organismes complémentaires). La part du RAC final dans les DCS est de 7 % en France, la plus faible proportion observée parmi les pays de l’OCDE en 2015 (dont la moyenne est de 20 %).

Pourtant en toile de fond de cette couverture maladie particulièrement flatteuse pour le système français, se logent des inégalités d’accès aux soins et de financement qui remettent partiellement en question la double solidarité du modèle hexagonal.
 

Des bien-portants vers les malades ?


C’est entendu, la Sécurité sociale assure un niveau moyen de remboursement des soins élevé. En moyenne, 77 % des dépenses de santé en 2016 sont remboursées par l'AMO. Cependant du fait de la coexistence de deux opérateurs distincts (l’AMO et les OCAM – organismes complémentaires d’assurance maladie), la couverture du risque santé renvoie à des situations extrêmement contrastées selon l’état de santé, le niveau de revenu, la qualité de la couverture complémentaire ou le type de soins. Par exemple, en 2016, 91 % des dépenses hospitalières sont remboursées par la Sécurité sociale contre 69 % des médicaments, 65 % des dépenses en soins de ville mais seulement 33 % des soins dentaires et 3,3 % de la dépense d’optique.

Les inégalités sociales de santé étant très prononcées en France et fortement corrélées au revenu, la redistribution effectuée par l’AMO des hauts revenus vers les bas revenus est massive. Depuis, la mise en place en 2000 de la CMU-C et de l’aide à l’acquisition d’une complémentaire santé en 2005, l’équité horizontale est ainsi respectée en matière d’accès aux soins de généralistes notamment. Elle ne l’est pas, en revanche, en matière d’accès aux soins de spécialistes ou d’actes de prévention. À état de santé et âge équivalents, les classes les plus aisées y accèdent plus que les classes les plus défavorisées.

Ces écarts ne relèvent pas uniquement de difficultés financières mais aussi de différences de comportements et de niveau d’information des individus (Dourgnon et coll., 2012 ; Jusot, 2014). Les phénomènes de renoncement aux soins pour raisons financières (tickets modérateurs, dépassements d’honoraires non-couverts) sont bien plus répandus chez les plus démunis attestant d’une barrière financière significative face à certains soins (dentaire, optique, spécialistes…).

Bien que 95 % de la population soit couverte par une assurance complémentaire santé, l’hétérogénéité de la couverture conduit donc à remettre en question, pour certains soins, le principe d’équité horizontale.
 

L’AMO concentre de plus en plus ses remboursements sur le « risque lourd »


Par ailleurs, la concentration des dépenses de santé de l’AMO sur le « risque lourd » (défini par le dispositif ALD, affection de longue durée, comme « une maladie chronique comportant un traitement prolongé et une thérapeutique particulièrement coûteuse », articles L160-14-3 et L160-14-4 du code de la Sécurité sociale) s’accentue. Les ALD représentent 90 milliards d’euros en 2015, soient 70 % des dépenses totales de l’Assurance maladie (concentrées sur 17 % de la population) contre un peu moins de 60 % en 2005.

Ces dépenses ont progressé de manière dynamique depuis 2005 à un taux supérieur à 5 % en moyenne par an de 2005 à 2010. Dix millions de Français en ALD reçoivent 70 % des remboursements de l’AMO. En analysant plus finement les dépenses, 30 % des remboursements de l’AMO portent exclusivement sur la prise en charge de deux ALD : l’ALD diabète de type 1 et diabète de type 2 qui concerne 2,5 millions de personnes âgées en moyenne de 66 ans (dont 53 % d’hommes) et l’ALD Tumeur qui touche 2 millions de personnes âgées en moyenne de 67 ans (dont 55 % de femmes).

En dépit de cet effort significatif de l’AMO sur la prise en charge des personnes en ALD, ces dernières ne sont pas parfaitement protégées. Du fait de l’absence d’un système de bouclier sanitaire plafonnant les RAC, les assurés sociaux les plus malades et souvent les plus âgés sont exposés à un risque financier lié aux coûts des soins.

Entre 1998 et 2008, le RAC des personnes en ALD est de 140 euros contre 80 euros pour les personnes sans ALD s’agissant des dépenses de pharmacie (Dourgnon et coll., 2013). Pire, le RAC (après remboursement de l’AMO et hors dépassements) d’un assuré ALD sur vingt est de plus de 900 euros par an (Caby et Eidelman, 2015).
 

Le rôle croissant des complémentaires santé : un risque pour le contrat social ?


Du fait du rôle croissant de la complémentaire santé dans le financement des dépenses de santé (13,3 % de la consommation de soins et de biens médicaux en 2016, très concentrés sur l’optique et le dentaire), des changements sont en cours apparaissant en rupture avec le contrat social tacite présenté en préambule. Un article récent de Jusot et coll. (2016) publié dans la Revue française d’économie s’appuyant sur les données du modèle INES-OMAR souligne que le financement des complémentaires santé est régressif en raison de primes dépendant de l’âge et non du revenu.

Non seulement le système de santé français est coûteux en frais de gestion du fait d’un système bicéphale (15,3 milliards d’euros en 2016 à parts égales entre AMO et OCAM) mais, en plus, la montée en charge des complémentaires impose donc une régressivité contraire à l’équité verticale. D’après les exercices de simulation du modèle INES-OMAR, les primes payées aux OCAM représentent 4,5 % du revenu disponible des classes les plus défavorisées contre moins de 2 % pour les classes les plus favorisées.

Si la double solidarité est encore assurée grâce à la place prééminente de l’AMO en France (mais très concentrée sur les personnes en ALD), la place croissante des OCAM fait porter un risque non-négligeable sur les fondements du contrat social. Le désengagement de l’AMO sur les soins courants suggère de réfléchir à la mise en place d’un panier de soins solidaire (note du Conseil d’analyse économique, 2017) mais aussi à un bouclier sanitaire permettant d’éviter les RAC catastrophiques et de limiter les situations de renoncement aux soins.

Par ailleurs, la diversification des modes de financement et le poids grandissant de la CSG dans le financement posent la question de la participation financière des retraités à un système de santé auquel ils ont déjà fortement contribué durant leur vie professionnelle.

The ConversationEn dépit de ces tensions, les Français restent très attachés au caractère solidaire de l’assurance maladie. D’après le Baromètre d'opinion de la Drees, seuls 15 % de la population est favorable en 2016 à l’idée d’attribuer les prestations maladie uniquement aux cotisants (contre 9 % en 2004). Ce soutien garantit, pour l’heure, une adhésion au système de santé français mais les évolutions en cours appellent à la vigilance.

Thomas Barnay, Professeur en sciences économiques, Directeur du Master 2 Economie de la santé, Université Paris-Est Créteil Val de Marne (UPEC)

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.