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Droits des femmes : la vague mauve en Espagne et en France

Publié le 15 janvier 2020

Article de Sabrina Grillo, Maîtresse de conférences en civilisation de l'Espagne contemporaine à l'UPEC, publié sur The Conversation France.

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Date(s)

le 15 janvier 2020

À l’occasion d’une naissance, il est très courant de voir des cadeaux se répartir en deux couleurs distinctes : le bleu pour les garçons et le rose pour les filles. Mais pourquoi les filles ne recevraient-elles pas aussi des cadeaux bleus et inversement ? Le bleu, associé à la Vierge Marie, symbole de féminité dans la tradition chrétienne, est pourtant devenu dans la première moitié du XXe siècle la couleur des garçons et le rose la couleur des filles. L’entrée progressive dans la société de consommation a peu à peu généré un clivage fort entre ces deux couleurs, entérinant des stéréotypes sexuels qui ont aujourd’hui la vie dure.
 

Pourquoi le mauve ?

Mais dernièrement, on a vu en Espagne peu de bleu et peu de rose. C’est le mauve qui a le vent en poupe ! Couleur des revendications féministes, le mauve s’est affiché partout le 25 novembre, à l’occasion de la Journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes. Cette couleur ambiguë s’est affichée aussi bien lors des manifestations que sur divers édifices, mairies, universités ou encore fontaines. Tous ces points d’accroche visuels participaient de la mobilisation pour les droits des femmes qui manifestaient, encore et toujours, contre les violences machistes et exigeaient des mesures fortes de prévention et de protection des victimes. Certaines villes comme Almería ont même prolongé les actions jusqu’au 27 novembre.

Historiquement, le mauve n’était pas une couleur politisée puisqu’elle n’était identifiée à aucun parti politique mais l’arrivée de Podemos, qui a décidé de se parer de mauve, a changé la donne. Il est dès lors légitime de s’interroger sur les limites éthiques de l’instrumentalisation du féminisme, ou du moins de son utilisation en tant qu’outil de marketing politique. Depuis les suffragettes jusqu’au récent mouvement #MeToo, le mauve est bien la couleur militante des féministes. Ce mélange de rouge et de bleu est le symbole de l’union et de l’abandon de la logique binaire des genres dans la nécessaire lutte contre ce fléau qui nous concerne toutes et tous.
 

Les progrès des droits des femmes en Espagne

Vu de France, la forte médiatisation des féminicides et autres actes violents envers les femmes commis en Espagne peut donner l’impression que ce pays souffre davantage de ce fléau que la France. C’est pourtant totalement l’inverse : en 2017, 108 féminicides ont eu lieu en France (67 millions d’habitants) contre 47 en Espagne (47 millions d’habitants).

La femme espagnole avait été longtemps relayée au rôle de la « buena madre » et de la « buena esposa » durant la dictature franquiste, qui avait même édité un guide à ce sujet (Guía de la buena esposa, 1953). La transition démocratique puis la Movida ont eu raison de ce carcan culturel au profit d’une libéralisation des mœurs qui a permis aux femmes de revendiquer leur place et leurs libertés. Il a fallu malgré tout attendre le gouvernement du socialiste Zapatero pour l’adoption en 2004 d’une loi visant à lutter contre les violences de genre : la Ley Orgánica de Medidas de Protección Integral contra la Violencia de Género. En 2014, sous le gouvernement du conservateur Mariano Rajoy, diverses manifestations contre un projet de loi destiné à réduire considérablement le droit d’avorter avaient canalisé les revendications de femmes qui devaient (ré)clamer, encore, leur liberté sexuelle, fédérant ce que l’on a pu voir comme étant le début de la quatrième vague féministe.

À l’occasion de la Journée internationale des femmes, le 8 mars 2018, une grève et une mobilisation historiques contre les inégalités de genre avaient paralysé le pays. À cette mobilisation historique des Espagnoles le 8 mars 2018 a suivi plus d’un an après une autre mobilisation historique : celle des Françaises le 23 novembre 2019. Une chose est sûre, la vague mauve n’est pas près de s’essouffler…The Conversation

Sabrina Grillo, Maîtresse de conférences en civilisation de l'Espagne contemporaine, Université Paris-Est Créteil Val de Marne (UPEC)

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.