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Comment faire reculer les déserts médicaux

Publié le 18 septembre 2018

Article de Thomas Barnay, Professeur en sciences économiques, Directeur de l'Unité de Recherche ERUDITE, à l'UPEC, publié sur The Conversation France.

En zone rurale, difficile de trouver du personnel médical. Shutterstock
En zone rurale, difficile de trouver du personnel médical. Shutterstock
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le 18 septembre 2018

Photo : En zone rurale, difficile de trouver du personnel médical. Shutterstock

Mardi 18 septembre 2018, le président de la République Emmanuel Macron a présenté les orientations de la stratégie de transformation du système de santé. Celle-ci ambitionne notamment de résorber les déserts médicaux, ces portions de territoire sous-dotées en médecins.

Pour tenter d’y parvenir, les pouvoirs publics ont privilégié depuis 2007 des mesures incitatives financières – telles que le contrat d’engagement de service public, créé par la loi « Hôpital, patients, santé, territoires » (HPST) du 21 juillet 2009. Sans grand succès : selon la Cour des Comptes, ces mesures ont un coût global estimé à 20,4 millions d’euros en 2015, pour 20 500 bénéficiaires…

Afin d'être efficace, la « régulation » de l’installation des médecins libéraux devra plutôt être repensée en tenant compte des aspirations des médecins. La réforme globale annoncée par le président de la République, d’un montant de 400 millions d’euros supplémentaires (situant l’Objectif national des dépenses d’assurance maladie à 2,5 % pour l’année 2019), répond partiellement à cet enjeu majeur.

Baisse de la densité médicale

Selon le CNOM (Conseil National de l’Ordre des Médecins), au 1er janvier 2018, la densité médicale s’établit à 155 médecins en activité régulière exerçant en libéral ou en activité mixte pour 100 000 habitants. Le constat est sans appel : en Métropole, Paris est trois fois plus doté que l’Indre (respectivement 265 contre 93). Par ailleurs, au cours de la période 2010-2017, une baisse de la densité médicale en activité régulière a été observée dans 88 départements. Les plus fortes diminutions sont enregistrées dans la Creuse, l’Ariège et l’Aveyron. Qui plus est, depuis 2010, les inégalités interdépartementales de densité médicale sont restées constantes.

L’inadéquation de l’offre et de la demande de soins (autrement dit, les besoins) est désormais définie par l’Accessibilité Potentielle Localisée (APL). Selon cet indicateur 8 % de la population française vit en zone sous-dense en médecins généralistes, soit dans des communes au seuil de 2,5 consultations par an et par habitant. Ces communes ne sont pas réparties équitablement sur le territoire. Les régions les plus touchées sont Antilles-Guyane, Corse, Centre-Val-de-Loire, Auvergne-Rhône-Alpes, Bourgogne-Franche Comté et Île-de France. Cette dernière région, particulièrement peuplée, rassemble à elle seule le cinquième des habitants des communes sous-denses.

Photo : Classement des communes sous-denses dans le zonage des médecins généralistes. Les dossiers de la DRESS n°17 - mai 2017

La situation est particulièrement inquiétante concernant les médecins généralistes en activité régulière. Les effectifs ont, en effet, diminué de 9 % en dix ans. Au cours des sept dernières années, Paris est le second département à avoir enregistré la plus forte baisse du nombre de médecins généralistes (– 25 %). En outre, la distance d’accès à un médecin généraliste est passée de 4,3 km en 2005 à 5,1 km en 2015 attestant de la dégradation de la qualité du système d’accès aux soins primaires.

Comprendre les aspirations des jeunes médecins

Il est impératif de comprendre et d’entendre les aspirations des jeunes médecins, qui diffèrent sensiblement de celles de leurs aînés. Une féminisation accrue, une appétence pour l’exercice de groupe et le salariat, une durée de travail plus faible en sont les principales caractéristiques. Au moment de choisir un lieu d’installation, la qualité de vie et les compensations financières sont ainsi mises en concurrence.

Pour répondre au défi de l’inégale répartition des médecins sur le territoire, il faut donc orienter les médecins vers les territoires sous-dotés, en les accompagnant dans leur souhait d’exercer en cabinet de groupe, dans une perspective pluriprofessionnelle, et en favorisant la qualité de vie au travail.

Pour ce faire quatre leviers pourraient être actionnés simultanément : réformer les études de médecine, aider à l’installation des médecins, accroître le temps médical disponible et limiter l’installation en zones surdotées.

Réformer les études de médecine

La fin du numerus clausus annoncée pour 2020 est cohérente avec un dispositif de régulation devenu aujourd’hui caduque. En effet, de nombreux médecins étrangers s’installent en France (25 % des nouvelles inscriptions à l’Ordre des médecins chaque année depuis dix ans) et les défis en termes de démographie médicale portent sur un horizon de moyen terme (2025).

Cependant la réforme annoncée est, pour l’heure, trop timorée pour structurellement modifier les pratiques et ce, dès la formation initiale. Il est nécessaire, en effet, de sortir du caractère monodisciplinaire et « hospitalo-centré » de la formation. Pour y parvenir, divers moyens sont disponibles :

  • une ouverture aux sciences humaines et sociales (gestion du cabinet, économie de la santé) ;
  • des cours communs avec d’autres professionnels de santé pour préparer aux parcours de soins coordonnés ;
  • des stages hors CHU et d’une durée accrue dans les zones sous-dotées, en développant les possibilités de stage autonome en soins primaires ambulatoires supervisé ;
  • le recrutement de maîtres de stage des universités en médecine générale et l’internat rural.

On sait, par exemple, que les lieux de stage durant les études peuvent influer sur les choix de localisation. Les praticiens libéraux et les médecins des centres hospitaliers devraient également pouvoir davantage intervenir dans les formations.

Accompagner l’installation des médecins

Les incitations à s’installer dans les zones sous-médicalisées doivent être protéiformes. Elles peuvent porter sur les aménagements du temps de travail, une aide au logement, aux études, au remplacement des médecins, à l’exercice mixte et regroupé et une meilleure couverture des accidents du travail. Des mesures de prime abord anodines peuvent être déterminantes. Il a été montré, par exemple, que la présence d’au moins trois opérateurs d’accès haut débit à Internet influence significativement l’installation en zone rurale.

L’annonce de la création de 400 médecins généralistes salariés en 2019, dans les zones sous-dotées, répond à une urgence bien comprise. Néanmoins, elle risque d’amorcer une segmentation du marché de l’offre de soins entre les médecins généralistes salariés, concentrés sur les zones sous-dotées, et les médecins généralistes libéraux. Il faut espérer, en outre, que cette segmentation ne s’accompagne pas d’une aggravation des différences territoriales de qualité des soins, vraisemblablement au détriment des populations défavorisées.

Accroître le temps médical disponible

La création de 4 000 postes d’assistants médicaux sur le quinquennat s’inscrit dans cette optique d’accroissement du temps médical. Elle ne doit cependant pas contraindre les médecins à accroître le nombre d’actes pour compenser une partie du coût salarial de ces assistants qui ne serait pas assurée par les pouvoirs publics.

Au sein de structures regroupées, collectives et pluriprofessionnelles, accroître le temps médical disponible pourrait également passer par des mécanismes de délégation de tâches aux infirmières. Le suivi des patients chroniques et le dépistage sont des candidats pertinents à cette délégation (comme dans le dispositif Action de santé libérale en équipe (ASALEE). Cette délégation peut sans doute s’avérer pertinente vis-à-vis des pharmaciens également, qui pourra en 2019 prendre en charge la vaccination contre la grippe.

En outre, le développement des maisons de santé pluriprofessionnelles et des pôles de santé semble à même de maintenir une offre de médecine générale dans les zones sous-dotées et de libérer du temps médical).

Enfin, les outils de coordination des professionnels de santé doivent être développés et rendus lisibles pour les acteurs de terrain – équipes de soins primaires (ESP), communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS), plateformes territoriales d’appui (PTA). À ce sujet, un engagement sur 10 ans est proposé dans le cadre de la réforme afin d’inciter, sur les 18 prochains mois, la création de CPTS.

Par ailleurs, la généralisation du dossier médical partagé, vieux serpent de mer du système de santé français, est essentielle afin de viser une meilleure pertinence des soins et un suivi optimal du parcours des patients. Elle doit se faire sous la houlette du médecin traitant, seul habilité à synthétiser de façon opérationnelle l’information sur le parcours de soin du patient. Si cette mesure constitue un coût à court terme pour les médecins, elle peut à moyen terme accroître le temps médical pertinent.

En outre, les incitations financières telles que le contrat solidarité territoriale médecin permettent théoriquement d’inciter les médecins à assurer des heures de consultation dans des zones sous-denses. L’avenant 6 conclu par l’assurance maladie vient renforcer la majoration financière des honoraires (de 10 % à 25 %), ce qui pourrait s’avérer plus incitatif.

Enfin, pour pallier localement les déficits d’offre médicale, les possibilités de cumul emploi-retraite ont été amplifiées (le plafond d’autorisation relevé le 1er janvier 2018 de 11 500 euros à 40 000 euros).

Limiter l’installation en zones surdotées

Cette option, politiquement délicate, n’a pas été retenue par le gouvernement. Pourtant, fin 2017, la Cour des Comptes a recommandé l’instauration d’un conventionnement sélectif des médecins (comme c’est le cas en Allemagne, par exemple). En France, les zones surdenses en médecins généralistes n’existent plus, ce qui rend impraticable cette proposition.

En revanche s’agissant des densités médicales de spécialistes chirurgicaux, des écarts très importants sont observés, allant de 1 à 12. Les départements les mieux dotés sont Paris (103), le Rhône (57), les Alpes-Maritimes (56) et les Bouches-du-Rhône (51), loin devant le Gers (13), la Haute-Saône (13), la Creuse (12) et Mayotte (8). Il paraît ainsi nécessaire de réguler ces écarts en ciblant les bassins les plus dotés, même si des risques de contournement peuvent exister (accroissement du nombre d’installations en secteur non conventionné ou dans des zones limitrophes).

Dans les zones surdotées telles que Paris, l’interdiction – provisoire – de toute installation de spécialistes chirurgicaux de secteur 2 pourrait être préconisée. Dans la même veine, un conventionnement pourrait être conditionné à la réalisation de consultations « avancées » régulières en zones sous-denses (avis du Conseil économique social et environnemental, décembre 2017).

Une autre option consiste à contraindre, dans ces territoires surdotés, les nouveaux médecins à signer l’option de pratique tarifaire maîtrisée (OPTAM) afin de plafonner les dépassements d’honoraires. Ces mesures spécifiques et ciblées ne peuvent cependant pas se substituer à une politique globale d’incitations à l’installation des médecins en zones sous-denses.

En définitive, le constat réalisé par le gouvernement est largement partagé et les actions proposées vont dans le bon sens (coordination, incitation à la coopération et à la pertinence, ciblage des zones sous-denses). Reste à voir s’il pourra, à moyen terme, réussir la révolution des études de médecine, obtenir l’adhésion des médecins à ces changements qui s’imposent, et réguler les zones surdenses en spécialistes…The Conversation

Thomas Barnay, Professeur en sciences économiques, Directeur de l'Unité de Recherche ERUDITE, Université Paris-Est Créteil Val de Marne (UPEC)

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.